Quand on lit Dan Cohen, on voit quels sont les rôles argumentatifs qu’il donne au calculateur numérique et à sa sortie graphique. Tout d’abord, grâce à la programmation modulaire en FORTRAN 1114 , la variation des paramètres biologiques des lois de probabilités de croissance lui semble directement incarnée, ou représentée dans la variabilité des paramètres des sous-routines appelées par GOSUB. La structure des lois de probabilités, elle, ne change pas : ces lois peuvent donc toujours renvoyer à la même sous-routine pour être ensuite testées par un tirage de nombre au hasard. Mais ce sont leurs paramètres qui sont en revanche variables. Ils sont fixés de l’extérieur en conformité avec la configuration contingente et évolutive de l’environnement de la pousse potentielle. Grâce aux branchements conditionnels rendus possibles par la programmation informatique, le modèle peut donc intégrer une sensibilité à l’environnement qui s’exprime comme un effet en retour de l’environnement sur les paramètres génétiques. Ces sous-routines présentent bien en elles-mêmes la propriété de rechercher l’optimum spatial par auto-adaptation des règles de pousse. Il y a là un principe proche de ceux qu’affectionne Heinz von Foerster.
Ensuite, Cohen fait remarquer que ces règles mathématiques à paramètres variables sont des plus simples. La brièveté de son programme en FORTRAN (environ 6. 104 bits) est là pour confirmer la faisabilité de ce genre de scénario pour la nature : la petite taille du programme accrédite l’idée, d’abord contre-intuitive, que la morphogenèse naturelle n’a peut-être besoin que d’un nombre limité d’« informations » élémentaires. Cohen va même jusqu’à évaluer le nombre de gènes qui seraient nécessaires pour l’insertion biologique de ces 6. 104 bits : 30 gènes 1115 . Cette propriété de brièveté du message informatif est également due au caractère modulaire de la programmation qui évite la répétition, dans le programme, d’instructions informatiques de formes identiques.
Enfin, il faut noter qu’avec ce modèle, Cohen n’a pas le souci de faire que le résultat ressemble encore parfaitement à un objet biologique qui l’intéresserait particulièrement. C’est là que le caractère encore théorique de son approche se manifeste donc le mieux. Toutefois, il utilise la capacité qu’a le TX-2 de visualiser ces calculs de positions de point sur une table traçante pour évaluer la réussite de son projet : il veut montrer visuellement que l’hypothèse d’une croissance à la fois structurée et épigénétique peut valoir pour les phénomènes naturels.
[Cohen, D., 1967], p. 247.
[Cohen, D., 1967], p. 248.