Eviter d’avoir recours à l’ordinateur

L’intérêt principal de cette revue est qu’on y voit Lindenmayer interpréter l’ensemble de tous ces recours antérieurs à l’ordinateur comme n’étant pas homogènes ni d’un seul tenant, spécialement du point de vue de la formalisation qu’on y emploie comme de l’usage qu’on y fait de l’ordinateur. Il y a ainsi ceux qui utilisent l’ordinateur pour s’aider dans les calculs, les déductions et l’intuition de combinaisons complexes entre automates cellulaires (Ulam, Eden, Stahl). Ceux-là se servent de l’automate deux fois en quelque sorte : pour leur formalisme, d’une part, et pour la résolution du problème au moyen du formalisme, d’autre part, puisqu’ils se servent de l’ordinateur comme d’un objet technique de computation.

Mais il y a aussi ceux qui se contentent de prendre les seuls formalismes introduits par les théories des automates pour les faire servir à une authentique théorie de l’organisme vivant (MacCulloch et Pitts, Rosen). Lindenmayer annonce d’emblée qu’il se rattachera à chacune de ces deux perspectives 1226 . Mais il ne cache pas que son but principal est de proposer avant tout ce qu’il appelle une « infrastructure théorique » 1227 pour le traitement du problème du développement et de la croissance des êtres multicellulaires. En ce sens, Lindenmayer reste persuadé qu’il faut au maximum éviter d’avoir recours à l’ordinateur comme instrument de déduction : ce serait la preuve même de la faible « puissance » de la théorie au sens de Woodger. Le critère de la « puissance » de la théorie est donc bien encore omniprésent dans ces travaux de Lindenmayer et c’est même ce qui conditionne son premier usage de l’ordinateur :

« Une fois que l’on a affaire à plus qu’une poignée de cellules, les combinaisons possibles de ces interactions deviennent pratiquement intraitables par une intelligence dépourvue d’aide, en conséquence ces problèmes exigent soit une théorie mathématique suffisamment puissante, soit l’application d’ordinateurs. » 1228

Or, à lire de près son article, on constate que c’est clairement la première solution de l’alternative que privilégie dans un premier temps Lindenmayer. C’est la raison pour laquelle, un peu à l’image de Rosen, il va d’abord proposer ce qu’il appelle un « modèle mathématique » 1229 et non directement une méthode de simulation de la croissance organique alors même que Stahl, l’année d’avant, comme nous l’avons vu, avait en revanche popularisé l’emploi de ce terme pour désigner toute implémentation d’un modèle mathématique sur ordinateur.

Notes
1226.

“Both of these approaches have been utilized in this study”, [Lindenmayer, A., 1968a], p. 281.

1227.

“a theoretical framework”, [Lindenmayer, A., 1968a], p. 281.

1228.

“Once we are dealing with more than a handful of cells, the possible combinations of these interactions rapidly become unmanageable by the unaided intelligence, therefore these problems require either a sufficiently powerful mathematical theory, or the application of computers”, [Lindenmayer, A., 1968a], p. 281.

1229.

Voir le titre : “Mathematical Models for Cellular Interactions in Development”, [Lindenmayer, A., 1968a], p. 280. Cette expression qu’à notre connaissance il emploie ici pour la première fois lui vient sans doute de sa lecture de Rosen mais aussi des cybernéticiens comme Ross Ashby.