Un déplacement de l’horizon des automates vers l’horizon des langages

Ce qui est en effet surprenant lorsque l’on suit la bibliographie des travaux de Lindenmayer comme de ceux qui le citent dès 1969, c’est le fait que l’on a par la suite très peu affaire à des biologistes. Le premier à faire écho à ses travaux de modélisation mathématique, par exemple, est Gabor T. Herman. C’est un mathématicien britannique né au début des années 1940 et qui a soutenu son doctorat en mathématiques à l’Université de Londres en 1968. En 1969, on le retrouve au poste de professeur assistant puis de professeur associé au Département de Computer Science de l’Université d’Etat de New York, à Buffalo. Même s’il publie aussi dans le Journal of Theoretical Biology, ce qui l’intéresse dès le départ dans le modèle de Lindenmayer, c’est essentiellement sa capacité de calcul universel en comparaison des autres types d’automates et sa propriété de fermeture en termes de langage formel 1289 . C’est lui qui nomme le « modèle mathématique » proposé par Lindenmayer un « modèle de Lindenmayer » 1290 . Par son travail, Herman contribue surtout à épurer la présentation de Lindenmayer pour lui donner une forme axiomatique recevable par des mathématiciens : pour lui, comme le précise Lindenmayer lui-même, un « modèle de Lindenmayer » est un « construit » rassemblant un ensemble fini d’états, une fonction d’état-suivant et un tableau linéaire initial 1291 . C’est Herman encore qui, dès 1968 semble-t-il, fait prendre conscience à Lindenmayer qu’un tel construit formel est analogue aux grammaires au sens de la théorie des langages formels 1292 .

Ce dernier va donc progressivement passer d’une vision de son modèle conçue dans l’horizon de la théorie des automates à une reprise de ce même modèle dans l’horizon interprétatif de la théorie mathématique des langages. Dans ses écrits, c’est souvent le terme « langage » qui va remplacer le terme « automate » ou l’expression « machine séquentielle ». À partir de ce moment-là, le langage de Lindenmayer devient donc un objet d’intérêt et d’étude en lui-même. Et ce déplacement vers l’horizon de la théorie des langages va ouvrir à ce formalisme des dimensions d’évolution différentes de celles qui pouvaient sinon s’ouvrir à un simple modèle mathématique de biologie du développement. Ce formalisme donc, relativement élémentaire dans ses règles et riche en appels à l’intuition à cause de cette simplicité même, dès lors qu’il est perçu et conçu comme assimilable à l’objet mathématique « langage formel » va faire l’objet d’études pour lui-même, comme un construit mathématique parmi d’autres.

Par la suite, Gabor T. Herman s’orientera dans la reconnaissance de formes et dans la synthèse d’images médicales par ordinateur. Il deviendra un des spécialistes de l’analyse théorique et informatique des images issues de la tomographie médicale 1293 . Il abandonnera donc l’aspect synthétique des modèles formels pour se pencher sur une approche analytique de reconnaissance de formes, c’est-à-dire sur une approche de spécification de modèles et d’identification de paramètres. En revanche, de son côté et avec d’autres collaborateurs, Lindenmayer poursuivra davantage encore, et de lui-même, cette inflexion vers la théorie des langages mais en quittant auparavant le contexte purement américain 1294 .

Notes
1289.

Voir [Lindenmayer, A., 1973], p. 690.

1290.

[Lindenmayer, A., 1973], p. 682.

1291.

[Lindenmayer, A., 1973], p. 682.

1292.

Il se peut également que ce soit un des linguistes d’Utrecht…

1293.

Voir [Herman, G. T., 2003] pour les indications biographiques.

1294.

Voir [Lindenmayer, A., 1971], [Lindenmayer, A., 1973] et [Lindenmayer, A., 1975].