Chapitre 20 - La simulation géométrique à vocation botanique : Honda et Fisher (1971-1977)

Nous l’avons vu, en ce début des années 1970, la modélisation d’origine logiciste que Lindenmayer bâtit sur les ruines de l’approche de Woodger, innove incontestablement. Mais en même temps, elle résiste à un certain versant pragmatique de la modélisation de la morphogenèse, car elle oblige à faire entrer les formes de la plante dans le carcan d’un formalisme a priori, certes plus souple, mais loin d’être encore assez souple pour les formes ramifiées supérieures. C’est là le signe de son penchant théorique irrésistible. Les convergences qu’elle autorise sont donc surtout orientées vers les destins intrinsèques des formalismes. Loin de plier complètement les formalismes vers la réalité biologique de la morphogenèse, c’est bien plutôt la biologie qu’elle fait plier vers les problèmes informatiques. Comme dans le cas similaire de l’importation des algorithmes génétiques en informatique, la biologie sert ici de modèle pour des formalismes de computation sans qu’il y ait de retombées immédiates pour la biologie 1340 . Certes, cette convergence solidifie et pérennise ce nouveau domaine d’études formelles. Mais la biologie s’y serait lentement asphyxiée si quelque chose de nouveau n’y avait pas été par la suite insufflé. Une série d’événements et de rencontres vont bien plus tard ramener la modélisation et la simulation logicistes vers les êtres vivants. Mais entre-temps, une autre école de simulation, d’origine essentiellement japonaise, décida, quant à elle, de partir de l’arbre réel pour y revenir tout de suite.

Notes
1340.

Ce n’est pas ici le lieu de rapporter l’histoire précise des algorithmes génétiques. Notons simplement que l’on doit leur naissance à l’informaticien américain John Henry Holland (né en 1929). À partir d’une réflexion sur les automates cellulaires, il proposa une « théorie » permettant de modéliser des systèmes adaptatifs, c’est-à-dire ces systèmes dont les règles sont non seulement distribuées mais peuvent aussi changer au cours du temps et des générations des cellules. Dès la fin des années 1950, dans la suite des travaux de von Neumann et de Burks, et après avoir travaillé à la conception de systèmes de « groupes d’ordinateurs », il proposa que l’on s’inspire des phénomènes d’évolution dans le monde organique pour concevoir une forme de modélisation évolutive. Voir [Holland, J. H., 1962] : les références à la génétique des populations y sont fondamentales. Après une longue période de développements spéculatifs et rhétoriques dans de nombreux secteurs (notamment dans les théories économiques de la rationalité limitée), il semble que la décennie 1990 ait vu poindre une série d’applications importantes. Voir [Holland, J. H., 2001]. Cette technique a rejoint celle de la modélisation par neurones formels pour constituer aujourd’hui les approches de programmation dites « sous-symboliques » où l’on assume le fait que le programme résolve un problème à un niveau infra-linguistique et donc sans que l’on puisse se l’expliquer de manière symbolique. Voir [Abunawass, A., M., 1992], p. 87.