Un modèle de simulation génératif et géométrique validé par l’image

Il est une chose qu’il faut souligner. La visualisation réaliste des arbres simulés est facilitée par le fait que Honda, comme Cohen, met en œuvre directement un formalisme géométrique et non un formalisme par automates ou par grammaires à réécritures comme Lindenmayer ou Lück. Or, dans un langage évolué du type de FORTRAN, la gestion des points ou des traits lumineux sur l’écran de l’ordinateur se fait en référence à un repère métrique orthonormé. Techniquement, dans le programme, il n’y a donc pas à traduire l’expression mathématique du modèle pour en obtenir une représentation visuelle. Il suffit simplement à Honda de traiter le problème du passage du modèle métrique à trois dimensions à une représentation en deux dimensions pour que l’on puisse la visualiser sur un écran. Là encore, quelques notions de géométrie projective suffisent. Au contraire de Lindenmayer et comme Cohen, Honda n’insiste donc pas tant sur la topologie que sur la métrique de ces « corps semblables à des arbres » qu’il fait simuler par l’ordinateur. Il se range donc de fait dans une tradition de simulation plutôt métrique voire géométrique que logiciste. C’est la raison pour laquelle on peut qualifier sa simulation de préférentiellement géométrique.

Comme nous l’avons dit, la sélection des modèles les plus vraisemblables se fait chez lui par un processus itératif d’essais et erreurs. Ici l’essai consiste en la confrontation entre l’image visuelle, la figure donnée au final par l’écran graphique de l’ordinateur (à la fin du calcul de trois ou quatre ordres de ramification à partir du tronc vertical initial) et la capacité de reconnaissance de notre œil et de notre cerveau humains : pour Honda, si nous reconnaissons assez grossièrement sur l’écran une forme crédible d’espèce d’arbre réellement existante (ginkobiloba, érable, bouleau, azalée,…) 1350 , alors les paramètres du modèle génératif, entrés dans l’ordinateur un peu au hasard au départ, sont conservés ou affinés par d’autres essais, sinon leurs valeurs numériques sont rejetées. Afin de disposer d’une faculté de reconnaissance tout de même plus sûre et plus informée, Honda se fait aider par le morphométricien S. Oohata 1351 du Département de Foresterie de la Faculté d’Agriculture de l’Université de Kyoto. Dans les premiers temps, Honda travaille donc en collaboration avec lui de manière à mieux appréhender ce que permettent de distinguer les paramètres géométriques qu’il intègre sans souci de réalisme biologique ou génétique au départ.

Dans cette approche, même s’il conserve un souci de la minimisation de la quantité d’information à donner initialement au modèle génératif, comme c’est le cas dans les modèles logicistes et axiomatisés de Lindenmayer, on sent que Honda est davantage porté à donner du crédit à la validation du modèle par la visualisation intuitive permise par le formalisme géométrique et par son traitement à l’ordinateur. Tout le programme de Honda est conçu autour de cette visualisation. Car c’est là que se concentre la discrimination entre modèles plus ou moins réalistes. Ce qui n’est pas le cas chez Lindenmayer où la crédibilité du modèle topologique est, à en croire son auteur, assurée au niveau plus local des filiations logiques entre cellules. La visualisation sur ordinateur est donc secondaire dans le travail de Lindenmayer alors qu’elle est essentielle pour Honda. La simulation géométrique est davantage conçue pour permettre une validation intuitive ou qualitative en aval, c’est-à-dire sur une image, une réplication du réel, alors que la simulation logiciste repose plutôt sur une validation conceptuelle et en amont des calculs de la simulation. Or, comme on peut s’y attendre, la simulation géométrique se développe surtout à partir du moment où les écrans graphiques font leur apparition et se développent, comme c’est justement le cas au Japon, en ce début des années 1970.

Notes
1350.

[Honda, H., 1971], p. 335.

1351.

En 1971, les biologistes S. Oohata et T. Shidei publient un article sur la structure de branchaison des arbres. Ils y pratiquent une analyse statistique (biométrique) de la taille des branches en fonction de l’ordre de branchaison. Voir [Fisher, J. B., Honda, H., 1977], p. 377.