Simuler pour tester un argument théorique

De son côté pourtant, au cours des années 1980, Hisao Honda rencontrera encore des échos favorables de la part d’autres botanistes. Et il se lancera dans une collaboration assez intensive, notamment avec d’autres collègues américains que lui indique Fisher. En 1980, il rejoindra ainsi quelque temps à Harvard le botaniste et morphologiste américain Philip Barry Tomlinson 1389 . Mais, dans tous les travaux de simulation qui suivront, Honda conservera une conception minimaliste du modèle géométrique sous-jacent car, comme Fisher au début de leur collaboration, Tomlinson et ses collègues utiliseront sa plate-forme de simulation pour développer des arguments théoriques concernant des règles développementales particulières supposées être à l’œuvre dans la couronne de l’arbre. Ce sera par exemple le cas pour un article dont l’objectif sera d’indiquer qualitativement le rôle des interactions entre branches voisines dans la ramification 1390 . Honda sera ainsi ponctuellement amené à complexifier son modèle géométrique en ajoutant un plan de ramification oblique et orientable dans l’espace 1391 , par exemple. Mais il est remarquable que pendant vingt ans, il utilisera pratiquement toujours le même formalisme géométrique de ses débuts. Quand il se trouvera à Harvard, dans le laboratoire de Tomlinson, les gros calculs seront certes effectués sur un IBM 370 du bureau des Technologies de l’Information de l’Université. Mais un indice d’un certain conservatisme de sa part se manifeste dans le fait que, jusqu’en 1984, il concevra toujours ses simulations dessinées à partir de son ordinateur Olivetti et du traceur de courbes Watanabe 1392 . À partir de 1984 cependant, pour des raisons de limitation de mémoire, lorsqu’il collaborera à Harvard avec Rolf Borchert, un physiologiste de l’Université du Kansas, Honda utilisera un programme en FORTRAN implémenté cette fois-ci sur un Système Honeywell et les dessins seront imprimés sur un traceur de courbes Hewlett-Packard HP21 1393 . Comme l’arbre considéré (un Tabebuia rosea) devra être simulé au moins jusqu’au 15ème ordre de ramification, cela afin d’y insérer la prise en compte d’un flux métabolique (objet du test théorique précis, en l’occurrence), la mémoire minimale théoriquement requise sera alors de 215 = 32768 points de liaison, ce qui est bien supérieur à ce que l’ordinateur initial pouvait supporter. Sur le système Honeywell lui-même, il faudra encore réduire quelque peu le nombre de points en construisant des arbres a priori symétriques au regard de certains axes privilégiés. C’est à partir de là, notamment, que la mémoire et la puissance de calcul des machines se révéleront très limitantes, aux yeux de Honda lui-même.

Mais dans tous ces travaux, que ce soit avec Tomlinson, Borchert ou, plus récemment, avec le botaniste du Jardin Botanique de Tsukuba, Hiroakki Hatta 1394 , Honda met à disposition une structure de simulation susceptible de tester des hypothèses théoriques isolées. Avec lui, la simulation sur ordinateur à résultats graphiques, visibles et intuitifs, garde donc encore son attache originelle dans le calcul scientifique à destination de développements ou d’arguments théoriques. Elle ne sert pas à prédire précisément des croissances d’arbre en vue d’une action sur la plante visant à contrôler et améliorer sa croissance, comme cela pourra être le cas par ailleurs, ainsi que nous le verrons. Elle ne vise pas à se substituer à des expérimentations en champ. Elle vise seulement à accroître une compréhension ou la crédibilité d’une explication conceptuelle possible des déterminismes morphogénétiques.

Notes
1389.

P. B. Tomlinson est un anglais d’origine. Il fait des études de biologie et de botanique à l’Université de Leeds, en Angleterre, entre 1949 à 1955. En 1955, il y obtient un doctorat en botanique. Ses recherches touchent principalement à l’anatomie systématique des monocotylédones et à la morphologie développementale des arbres et des forêts. Entre 1965 et 1971, il est attaché de recherche auprès de l’institut de foresterie Harvard Forest de l’Université d’Harvard. À partir de 1971, il devient professeur de Biologie à Harvard et chercheur rattaché au Jardin Tropical de Fairchild en Floride. Il sera professeur à Harvard jusqu’en 2001. Entre-temps, il collabore étroitement avec l’école française d’architecture végétale de Francis Hallé et Roelof A. A. Oldeman. Nous retrouverons cette école plus bas.

1390.

Voir [Honda, H., Tomlinson, P. B. et Fisher, J. B., 1981].

1391.

Voir [Honda, H. et Tomlinson, P. B., 1982] et [Borchert, R. et Honda, H., 1984].

1392.

[Honda, H., Tomlinson, P. B. et Fisher, J. B., 1981], p. 570 et [Honda, H. et Tomlinson, P. B., 1982], p. 2.

1393.

[Borchert, R. et Honda, H., 1984], p. 185.

1394.

[Honda, H., Hatta, H. et Fisher, J. B., 1997].