Bilan sur la simulation géométrique

Finalement, l’approche par simulation géométrique a été la première à converger véritablement, et de manière quantitative, vers la botanique et vers la biologie des plantes supérieures. Elle a contribué à rendre possibles certains calculs déductifs qui intervenaient dans le test de certaines hypothèses générales propres à la biologie du développement théorique. À cause de l’intrication de multiples chaînes causales, comme de leurs rétroactions, au cours des phénomènes de morphogenèses du vivant, ces suivis déductifs ne sont pas en effet aisément accessibles à la pensée humaine, qu’elle soit formalisée ou non : il n’en existe pas de modèle mathématique analytique. Et leurs résultats peuvent donc être contre-intuitifs. La seule solution est de simuler par ordinateur pour suivre pas à pas l’entrelacs des rapports entre les parties comme entre les parties et le tout de l’organisme.

Mais lorsque l’on sait que la plante est une « méta-population », lorsque que l’on voit bien que ces chaînes causales elles-mêmes évoluent (vieillissement des méristèmes), une complexité supplémentaire est ajoutée. Et il est permis alors de douter des apports de la simulation elle-même pour la botanique théorique. Si les règles locales changent au cours du temps, une approximation par la récursivité informatique sera-t-elle encore raisonnable ? Existe-t-il une règle du changement des règles ? Et comment la trouver ?

Il se trouve que c’est dans un cadre agronomique que cette question de la plasticité et de l’évolutivité des règles locales de morphogenèse sera affrontée et en partie résolue. Mais il faut pour cela que le chercheur simulateur apprenne à faire flèche de tout bois, à ne s’orienter selon aucun formalisme préférentiel a priori. Il faut aussi qu’il ne se sente pas empêché par des préférences théoriques ou épistémologiques trop contraignantes. Alors, ce sera le moment de procéder à des simulations mixtes, sans prévention. N’est-il pas possible en effet d’intégrer ces différents points de vue simulants, ces différentes perspectives, de manière à les faire se rapprocher encore plus de la réalité botanique ? Mais encore faut-il qu’il y ait un besoin, une demande, pour cela qui ne soit pas uniquement d’ordre spéculatif.

À partir de maintenant, pour comprendre précisément comment une telle mixité et une telle convergence agrégeante ont pu voir le jour, cela à la différence des autres approches, nous focaliserons plus particulièrement notre historique sur la naissance et le développement de la simulation architecturale. Cette focalisation qui orientera désormais notre exposé peut être justifiée par au moins deux raisons : d’une part, alors que les recherches en phyllotaxie pouvaient certes se targuer de retomber sur certaines observations, seule la simulation architecturale a pu finalement formaliser la plante en sa totalité ; d’autre part, seule cette même approche a rendu cette formalisation totale de la plante à même d’être calibrée quantitativement et donc de servir sur le terrain. C’est donc elle, et elle seule, qui a fait véritablement entrer l’histoire de la modélisation de la forme des plantes dans une nouvelle ère : celle des convergences avec les pratiques et les problématiques de terrain. Nous n’oublierons pas pour autant de rendre compte, si nécessaire, des propositions alternatives, spéculatives ou pragmatiques, qui n’ont pas cessé de jalonner ces trois dernières décennies. Mais nous leur donnerons moins de poids que précédemment car les propositions épistémologiques qui en ont émanées n’ont pas été véritablement innovantes au regard de ce qui s’est passé à la même époque dans l’école de simulation architecturale. En particulier, elles ne permettent pas d’expliquer la certaine hégémonie à laquelle est parvenue aujourd’hui cette école.

Dans un premier temps, nous allons donc restituer la période de formation puis le contexte institutionnel du chercheur qui, le premier, a proposé cette approche. Nous serons ensuite disposé à comprendre comment, autour de lui et autour de sa méthode, tout un laboratoire puis toute une école se sont enfin constitués. En particulier, nous nous interrogerons sur les rapports qu’a pu entretenir ce type de modélisation avec celui, plus traditionnel et mieux installé, de la biométrie, comme avec celui, toujours controversé, de la biologie théorique.