Le service « Café-Cacao-Thé »

C’est dans ce cadre-là que la création du service « Café-Cacao-Thé » de l’ORSTOM est intervenue, fin 1955. Dès le départ, ce service avait été conçu pour favoriser le déploiement rationnel et systématique de programmes d’amélioration, notamment par les méthodes génétiques, du rendement des plantes cultivées comme le café, le cacao ou le thé dans ce qu’on appelait alors (jusqu’en 1958) l’« Union Française » (AEF, AOF, Madagascar et Nouvelle Calédonie) 1430 . Comme l’ont montré les travaux de Christophe Bonneuil, ce mouvement volontariste et centralisé de valorisation, de rationalisation et d’intensification des productions des colonies françaises n’était pas nouveau puisqu’on doit le faire remonter aux années qui ont immédiatement suivi la première guerre mondiale 1431 . Mais, dans les années 1950, au vu des rendements obtenus, il était de nouveau très clair que les cultures tropicales souffraient de la comparaison avec les progrès spectaculaires que la sélection génétique avaient pu apporter entre-temps à l’agronomie rationnelle de métropole et des pays tempérés en général. Ces avancées remontaient déjà aux premières années de l’immédiate après-guerre lorsque certains hybrides créés aux Etats-Unis firent leur apparition en France. Ce fut notamment le cas en 1946 pour les hybrides du maïs 1432 . Alors même que le café par exemple était déjà considéré comme un produit stratégique 1433 , l’amélioration du rendement des caféiers avait été en revanche longtemps délaissée. Tout au moins était-elle abandonnée à l’initiative individuelle des jardins d’essai : des améliorations ponctuelles avaient été obtenues, mais souvent inefficaces, car il ne servait à rien d’isoler une souche à fort rendement si, par ailleurs, elle était fragile face aux maladies ou à la sécheresse. Il apparaissait ainsi de plus en plus qu’il fallait pouvoir maîtriser ou contrôler en même temps de nombreux facteurs, cela de façon rigoureuse et sur de nombreuses années. Or, selon un rapport initial de René Coste, qui fut le premier directeur du service « Café-Cacao-Thé », les membres de ce tout nouveau service s’accordaient sur le fait que ce genre de pratique n’était plus guère accessible à l’initiative individuelle et irraisonnée 1434 . En cette fin des années 1950, les agronomes français avaient donc plus que jamais fait valoir l’idée que, dans le cas des cultures tropicales françaises, la complexité de leur discipline exigeait une organisation uniquement dédiée à l’amélioration des plantes, avec un fort versant génétique et biométrique a priori 1435 . Si l’on voulait intensifier la caféiculture, il fallait mettre en œuvre des programmes centralisés de suivi, de traitement et d’évaluation très stricts 1436 . L’heure n’en était plus à la sélection variétale improvisée.

La centralisation n’a pas été un des derniers arguments ni une des dernières motivations pour la création d’une telle structure. Elle était déjà pensée de longue date au niveau ministériel. On en a la preuve si l’on songe que, dès 1953, par un décret en date du 17 novembre, toutes les attributions exercées dans les territoires d’outre-mer par les divers organismes de recherches agronomiques (dont les deux Centres de Recherches Agronomiques de l’Afrique Occidentale Française de Bingerville en Côte-d’Ivoire et de N’Kolbisson au Cameroun) avaient auparavant été transférées à l’ORSTOM 1437 . Pour toutes ces raisons, en 1955, l’ORSTOM décidait de créer ce service spécial centralisant les organismes qui étaient dédiés à l’amélioration du café, du cacao et du thé. Parmi ses premières actions ont figuré la création en Côte-d’Ivoire d’un important centre de recherches caféières et cacaoyères 1438 . Ainsi, ce qui, à Bingerville, avait d’abord été un « jardin d’essai » à partir de 1900, puis une « station expérimentale » dédiée à la sélection variétale pour le caféier et le palmier à partir de 1929 1439 , devenait un centre de recherches particulièrement spécialisé dans l’amélioration génétique du caféier et du cacaoyer. Cette notion de « station expérimentale » venait bien entendu de l’exemple britannique et notamment de la station de Rothamsted qui vit les premiers travaux en agronomie de R. A. Fisher.

Notes
1430.

Voir sur ce point [Coste, R., 1958].

1431.

Voir [Bonneuil, C., 1991], chapitre I : pp. 21-57.

1432.

En quelques années, les rendements crurent d’au moins un tiers pour le maïs et triplèrent pour le blé. Pour ces chiffres, voir [Coste, R., 1958], p. 59.

1433.

[Jagoret, P. et Descroix, F., 2002], p. 45.

1434.

[Coste, R., 1958].

1435.

Même si l’IFCC prévoyait aussi l’amélioration des rendements par la maîtrise des conditions écologiques et par l’ajout de substances de croissance ou engrais, comme en témoigne abondamment la revue de l’Institut (Café, Cacao, Thé) qui a paru de 1957 à 1994. Notons d’ailleurs que l’existence de cette revue a précédé d’un an celle de l’IFCC. En effet, elle a d’abord été créée puis transitoirement soutenue par l’ORSTOM et son service « Café-Cacao-Thé ».

1436.

Donc en continuité avec les programmes de protection et de stabilisation des cours mis en place par les gouvernements français. Il y a là, comme on le voit, une telle imbrication des motifs scientifiques, techniques et de gestion, de plus accentuée par l’entreprise centralisatrice de contrôle et de régulation, que les ingénieurs agronomes vont définitivement détrôner les naturalistes dans la mise en valeur des colonies. Sur le conflit initial entre ces deux corporations et leurs institutions, voir [Bonneuil, C., 1991], pp. 41 et 45.

1437.

Evoquant cette centralisation, René Coste, chef du service « Café-Cacao-Thé » à sa création, écrivait dans le premier numéro de la revue Café, Cacao, Thé de janvier-avril 1957 : « Cette importante et judicieuse mesure permettra, avec une direction centralisée, une répartition rationnelle des activités, un meilleur contrôle de l’exécution des programmes et une coordination des efforts, difficiles à réaliser jusqu’alors avec des organismes dispersés dans de lointains territoires et placés sous la dépendance de diverses autorités administratives. Cela permettra aussi, et c’est un des aspects les plus réconfortants de cette réforme, grâce au Fonds commun de la recherche scientifique et technique d’outre-mer, d’assurer le financement régulier de toutes les opérations entreprises », [Café, Cacao, Thé, vol. 1, n°1, p. 9].

1438.

La Station Expérimentale d’Abengourou en Côte-d’Ivoire, située plus au nord du pays et spécialisée dans l’amélioration du cacao, existait cependant depuis 1947.

1439.

Pour les dates, voir [Bonneuil, C., 1991], p. 105.