Des résultats en demi-teinte

De Reffye procède donc dans un premier temps à une analyse en composante principale du nuage de points à cinq dimensions, cela pour plusieurs familles d’Arabusta. Le premier résultat numérique tend à montrer que les caractères 1, 2, 3 et 5 sont très corrélés entre eux alors que le caractère 4 (l’épaisseur du rameau) varie de façon indépendante 1455 . La croissance en épaisseur paraît donc décorrélée de la croissance architecturale (ici croissance foliaire et en nombre d’entre-nœuds). Par la suite, de Reffye considère les données projetées sur les composantes principales et exprime le rendement dans ce nouveau référentiel :

‘« Pour chaque individu, on dispose du rendement cumulé en cerises [fruits du caféier] sur deux années de récolte. L’estimation du rendement sera effectuée à l’aide de la régression linéaire : Si = Yi . A + Ei, où A est le vecteur régression, Si le rendement de l’arbre i, Yi le point observation à cinq composantes de cet arbre, Ei étant l’erreur résiduelle. » 1456

De Reffye parvient ce faisant à trouver un bon accord entre ce que le modèle de rendement par régression prévoit, à partir des cinq caractères morphologiques choisis, et les mesures de terrain. Mais les chiffres indiquent également qu’il n’y a pas de corrélation entre le vecteur régression du rendement et les composantes principales : le rendement ne s’exprime donc pas simplement. De plus, les clones ou familles de caféiers présentent une grande variabilité intrinsèque quant au rendement. L’observation faite par ailleurs est confirmée. Donc, si les caractères rendent compte du rendement, ils sont, pour leur part, mal maîtrisables par le sélectionneur. Toutefois, lorsque l’on exprime le vecteur régression du rendement en fonction des variables initiales (les cinq caractères numériques du caféier), la composante la plus significative se trouve être la cinquième : le nombre de nœuds par rameau. Les caractères foliaires « n’ont pas d’importance en ce qui concerne le rendement » 1457 et l’épaisseur du rameau joue, par sa part, de façon modérée, même si les gros rameaux sont en général plus productifs que les rameaux fins. Pour la production en cerises du caféier, se confirme l’idée que des relations allométriques fonctionnelles et mathématiquement simples sont exclues.

En outre, parmi les résultats, figure la constatation a posteriori de l’importance de la casse des rameaux trop ramifiés : « ils se cassent au niveau de leur attache, parce qu’ils sont trop lourds » 1458 . Dans ce cas, « la partie lésée des tissus vasculaires appauvrit alors le ravitaillement du rameau en sève » 1459 . Or, c’est bien là reconnaître que des phénomènes non-linéaires peuvent interférer de façon significative dans la production en café et qu’ils viennent limiter la pertinence de l’approche par modèles linéaires, quand bien même ces derniers seraient multifactoriels. En conséquence, et cela apparaîtra décisif pour la suite, de Reffye préconise qu’à l’avenir, on prenne également en compte le « port » de l’arbre, dès lors qu’un certain nombre de « bons producteurs ont tendance à se coucher et sont inaptes à la culture industrielle » 1460 .

De Reffye calcule alors ce qu’il appelle le « rendement théorique », c’est-à-dire le rendement que l’on peut espérer. Les valeurs des caractères morphologiques qui correspondent à cet optimum se trouvent être non réalisées dans les arbres mesurés. Elles sont néanmoins proches de celles que présente la famille dite « 1300 » pour laquelle on peut espérer un gain de 33% en rendement. Ce qui donnerait 17kg de café par pied. La grande différence entre l’optimum de cette famille et ce qu’elle réalise déjà tient à ce qu’elle développe en moyenne 3,5 nœuds par rameau au lieu de 3 nœuds pour l’optimum. Or, c’est bien ce caractère du nombre de nœuds qui semble décisif, comme nous l’avons dit. Tirant les conclusions de cette première approche économétrique pour la recherche d’un optimum, de Reffye incite donc les sélectionneurs à se pencher notamment sur ce dernier aspect de la plante. La politique de sélection qu’il préconise au final reste toutefois très vague et peu spécifique dans la mesure où cette approche n’est finalement pas parvenue à exprimer simplement le rendement :

‘« Dans un premier temps, on essaiera de se rapprocher de l’optimum par croisement, en jouant sur la variation interfamille, car la position de la famille détermine son rendement moyen.’ ‘Dans un deuxième temps, on essaiera d’obtenir le maximum de graines en jouant sur la variation intrafamille vu l’hétérogénéité du rendement entre clones d’une même F1 [famille de géniteurs tétraploïdes]. » 1461

Or, même dans ce cadre-là, il reste à prendre en compte deux phénomènes qui sont encore limitants et qui n’ont pas été considérés : la faible adaptation au climat ivoirien transmise par les Arabica aux Arabusta (se traduisant par un avortement fréquent de la floraison), les mauvaises méioses des tétraploïdes parents et le mauvais appariement entre chromosomes Robusta et Arabica causant de fort taux de caracolis (une seule graine par cerise). Le rappel de l’existence de ces deux types de phénomènes et leur non prise en compte attestent bien du fait que l’approche par recherche d’optimum reste assez illusoire même si l’on parvient toujours à trouver par le calcul un modèle de régression : aucune connaissance précise ni aucune prise nouvelle sur les phénomènes n’est ce faisant réellement donnée au sélectionneur. Le deuxième phénomène, en particulier, appelle une meilleure connaissance des facteurs contrôlant la fertilité, au plus près de la fleur. Ce sera précisément l’objectif du second travail de modélisation de de Reffye à l’IFCC.

Ce travail de recherche directe d’un optimum global sera délaissé par de Reffye. Il ne sera pratiquement jamais cité dans ses travaux ultérieurs. Cette première approche constitue donc une sorte d’impasse. Mais, comme nous le verrons par la suite, plusieurs leçons utiles vont néanmoins en être tirées. La première, que de Reffye a indéniablement retenue, peut sans doute se formuler de cette façon : alors même que cela pourrait sembler une solution élégante ou brillante, il est illusoire de formaliser immédiatement des phénomènes vivants complexes à un niveau global et seulement fonctionnel.

Notes
1455.

[Reffye, (de), Ph., 1974a], p. 171.

1456.

[Reffye, (de), Ph., 1974a], p. 173. La technique de recherche d’optimum de production du nuage de points consiste d’abord à trouver l’équation de l’ellipsoïde qui le borne et, ensuite, par une méthode de type multiplicateur de Lagrange, à exprimer la maximisation du module du vecteur S des Si comme la maximisation de la distance euclidienne de l’hyperplan caractéristique de ce vecteur à l’origine. Lorsque l’hyperplan est tangent à l’ellipsoïde, tout autre hyperplan définissant un rendement moindre, le point de contact définit bien l’optimum. Or, cet optimum peut, sans ambiguïté, être exprimé mathématiquement. C’est ce qu’a fait auparavant de Reffye, à la page 169 de son article.

1457.

[Reffye, (de), Ph., 1974a], p. 174.

1458.

[Reffye, (de), Ph., 1974a], p. 174.

1459.

[Reffye, (de), Ph., 1974a], p. 174.

1460.

[Reffye, (de), Ph., 1974a], p. 176. Cette suggestion sera une de celles qui justifieront l’approche modélisatrice de la thèse de 1979.

1461.

[Reffye, (de), Ph., 1974a], p. 176.