De la fonction à la structure

À la différence du premier article sur la « recherche de l’optimum » dont il a été question précédemment, c’est ce deuxième article de 1974 qui présentera en revanche à lui seul l’essentiel du contenu de la thèse de troisième cycle soutenue en 1975. L’approche par programme linéaire de type recherche opérationnelle y est manifestement abandonnée. De Reffye renonce en effet à l’approche globale par le rendement. Conformément à la dernière partie du programme qu’il fixait à l’issue de l’article précédent, il décide de sérier les phénomènes successifs menant à la fructification. Et il rentre cette fois-ci dans le détail des événements de la fructification. Il essaie ainsi de repérer et de contrôler les critères précis d’une bonne fructification des caféiers 1462 . Or, une des leçons voire sanctions majeures de ses travaux antérieurs (non cités dans la thèse de 1975) est qu’une série de phénomènes non modélisables linéairement interviennent dans le rendement. C’est la raison pour laquelle il lui faut admettre qu’un modèle de régression linéaire offre peu de prises sur les critères de sélection. À partir de ce moment-là, la recherche qu’il conduit est entreprise dans un but pragmatique et agronomique plus clair à ses yeux : connaître et maîtriser précisément cette fructification par une reconstitution plus fine du scénario qui mène aux fruits, au détriment il est vrai de l’élégance et de la simplicité de la solution mathématique 1463 .

De façon générale, en ce début des années 1970, l’amélioration des rendements des plantes est considérée comme une tâche particulièrement difficile : « aléatoire, laborieuse, longue et coûteuse car le jugement n’est qu’a posteriori sur le résultat global » 1464 . D’où l’hégémonie des approches informationnelles par analyses statistiques et, en particulier, par analyses de variance, en ce domaine. Selon les ingénieurs agronomes, il serait en fait déjà souhaitable de mettre en évidence des marqueurs précoces et rapides du rendement des plantes, cela afin de pouvoir au plus vite le prédire, mais aussi afin de pouvoir rendre à même de choisir les géniteurs les plus intéressants parmi les clones disponibles. Dans le cas des plantes arbustives comme le caféier, il est même d’autant plus important de pouvoir prédire les rendements que les « délais de production des jeunes plantes peuvent atteindre plusieurs années » 1465 .

Conscient de cet enjeu et désormais personnellement informé de l’impasse relative que constitue la recherche de l’optimum au moyen des méthodes de programmation linéaire, dans sa thèse de troisième cycle préparée avec Sadi Essad et soutenue à l’Université de Paris-Sud Orsay 1466 , Philippe de Reffye préconise donc avant tout une approche purement observationnelle devant la structure de l’arbre :

‘« Le présent travail se propose d’étudier les facteurs de la fertilité à un niveau purement agronomique, tel que le caféiculteur peut l’observer lui-même. » 1467

De Reffye choisit donc délibérément de ne pas se pencher sur « les mécanismes intimes de la fertilité des caféiers » 1468 (biologie de la fleur, genèse des cellules, fécondation et développement des fruits et des graines) car, selon lui, si on ne les ignore pas totalement, on est encore loin de savoir dans quelle mesure exacte ces divers facteurs conditionnent la productivité des caféiers. Il procèdera donc à une modélisation descriptive et non explicative, à cette échelle, tout au moins. Cette approche contraste fortement avec son étude de DEA dans la mesure où son horizon d’analyse n’est plus du tout cytogénétique. Or, comme on l’a vu, que ce soit pour le caféier ou pour les plantes herbacées, c’est bien la productivité qui intéresse toujours au premier chef les agronomes. Dans le cas du caféier, cependant, les clones sont répertoriés, les hybrides existent et sont maîtrisés. Le problème pragmatique d’amélioration n’est donc plus ici celui d’une stabilisation d’hybrides vigoureux comme pour Lolium perenne. Le niveau cellulaire et chromosomique pertinent n’est plus le bon. L’approche par le rendement global ne convient pas non plus, comme de Reffye s’en est persuadé avec son travail antérieur. La question pragmatique qui se pose donc à lui est la suivante : comment contrôler cette productivité ? Ou plutôt : comment trouver des variables de contrôle pouvant servir à évaluer a priori cette productivité de sorte que l’on pourrait prédire les performances de différentes espèces de caféiers ? Le premier essai de 1974, par un modèle de régression doublé d’une recherche d’optimum, indique que l’approche par les caractères morphologiques censés intervenir très indirectement (mais fonctionnellement) dans le rendement laisse à désirer. Les caractères physiologiques traditionnels (les différentes mesures de la feuille, l’épaisseur du rameau) y ont semblé très peu décisifs, au contraire de caractères architecturaux plus directement et plus intuitivement liés au nombre de cerises par arbre, comme le nombre de nœuds par rameau, par exemple, ou comme le port de l’arbre.

Il faut donc changer de point de vue, adopter une approche plus locale sur l’arbre et sur les cerises, tout en restant au plus près d’évaluations pragmatiques. Dans ces conditions, adopter le point de vue du caféiculteur, c’est décider de se pencher sur l’aval des processus qui déterminent la productivité des fruits, autrement dit se concentrer uniquement sur la fertilité des ovules dans les phases finales de fructification, c’est-à-dire encore sur le développement des graines à l’intérieur de la cerise du caféier. Il suffit de remonter juste un peu en amont de ces derniers processus qui précèdent la récolte des grains et de trouver des observables permettant de prévoir cette récolte peu avant qu’elle n’intervienne. L’objet du travail de thèse de de Reffye est alors de montrer qu’il est possible, premièrement, de trouver de tels observables, deuxièmement, de les faire s’accorder avec des hypothèses modélisatrices à la fois simplifiantes et biologiquement crédibles. Cela lui permet de proposer une « formulation mathématique » globale qui, tout en les simplifiant, ne fait pas violence à la complexité des processus physiologiques intimes de la plante.

Notes
1462.

Selon le titre de [Reffye, (de), Ph., 1974b], p. 237.

1463.

Il écrira plus tard : « Il fallait démonter le mécanisme de la chaîne de production qui conduit de la fleur au fruit », [Reffye (de), Ph., et al., 1996], p. 3.

1464.

[Demarly, Dattée, Kammacher, Essad, 1975], p. 1.

1465.

[Demarly, Dattée, Kammacher, Essad, 1975], p. 1.

1466.

En septembre 1975, devant les professeurs Demarly, Dattée et Kammacher.

1467.

[Reffye (de), Ph, 1975], p. 2.

1468.

[Reffye (de), Ph, 1975], p. 2.