Première modélisation fractionnée : l’approche cinétique du caféier

La question est donc ici la suivante : à quel type de modélisation son épistémologie comme les limites techniques qu’il a reconnues le conduisent–elles ? Dans le modèle de 1975-1976, de Reffye veut suivre la formation et la croissance des rameaux du caféier. Pour cela, il choisit de se proposer un modèle mathématique qui soit capable de prédire pour chaque instant futur le nombre de rameaux formés. C’est alors seulement qu’il sera possible d’en extraire le nombre de rameaux porteurs de fruits.

Le caféier, à partir d’une tige principale poussant verticalement (elle est dite « orthotrope »), donne naissance de proche en proche à des rameaux qui, pour leur part, croissent dans une direction sensiblement horizontale (ils sont dits « plagiotropes »). Or, avant toute chose, de Reffye s’appuie sur le fait, bien connu en botanique, qu’il est possible de distinguer l’étape de formation de celle de la croissance du rameau. C’est en vertu de cette importante considération qu’il lui paraît possible de faire estimer au modèle le nombre total de nœuds plagiotropes d’un arbre à chaque instant. En effet, grâce à la prise en compte de cette relative dissociation entre le processus de formation des étages plagiotropes et le processus de leur croissance, la procédure de modélisation mathématique peut se simplifier puisqu’elle peut se décomposer elle-même en deux étapes dont chacune est modélisable plus simplement. Attention à bien comprendre que ce n’est pas la modélisation elle-même qui est ici simplifiée au sens où elle serait simplificatrice. Elle est seulement plus simple à réaliser ; ce qui est différent. Elle serait simplificatrice si elle faisait abstraction de certains détails. En fait, quand nous disons qu’elle est simple, nous voulons dire qu’elle est plus simple à fabriquer à partir du moment où elle choisit de « coller » opportunément à la dissociation entre divers processus telle qu’elle est présente dans les phénomènes réels eux-mêmes.

À la différence de l’approche des biométriciens classiques, ce qui est simplifié ici, c’est donc la procédure de réalisation du modèle, mais pas le modèle total résultant ni donc la représentation de la réalité. Voilà précisément là où peut servir l’ordinateur. Car en cette année 1976, il devient possible de fabriquer le modèle mathématique total, étapes par étapes, sans qu’il soit conçu a priori dans sa formulation totale résultante, parce qu’un calculateur automatique programmable est à la disposition de l’agronome modélisateur. Simplifier ainsi la procédure de confection pas à pas du modèle conduit à un modèle résultant complexe mais susceptible d’être supporté par l’infrastructure informatique. La mise à disposition d’un nouvel outil de calcul, plus puissant et programmable, contribue donc ici au déploiement d’un type de modélisation axé principalement sur la morphologie, cela au rebours des approches statistiques traditionnelles axées sur la physiologie. Le calculateur peut ainsi présider à la recombinaison pas à pas de ces sous-modèles conçus par les scientifiques séparément et de façon découplée ou fractionnée. Le modèle, de mathématique qu’il était, peut devenir alors logico-mathématique. Nous verrons dans quelles circonstances exactes l’IFCC a pu opportunément bénéficier d’un matériel informatique à cet effet. Retenons pour l’instant ce fait fondamental que de Reffye et Snoeck décident d’utiliser cette dissociation dans les processus biologiques pour procéder par étapes dans la constitution de leur modèle complexe, pour la fragmenter.

Après avoir exprimé ce projet de modéliser par phases successives les étapes mêmes du processus réel, les deux auteurs remarquent que, par des mesures sur un grand nombre d’arbres, il est tout d’abord possible d’estimer l’intervalle de temps moyen ΔT nécessaire à la formation d’un étage plagiotrope à un instant T donné. Cet étage étant créé, il devient possible également et dans un second temps (pour le calcul), d’estimer les paramètres de la fonction de croissance du rameau standard à cet étage. Ainsi, en composant ces deux fonctions de modélisation par le calcul automatique et grâce à des branchements logiques conditionnels traités par le langage informatique, on devrait pouvoir reconstituer le nombre total de nœuds plagiotropes présents sur un arbre à un instant T donné.