Le sous-modèle de la formation des rameaux

Travaillant donc dans cet esprit, et ayant fait l’hypothèse que l’on peut considérer avoir affaire à une fonction eulérienne de type B, de Reffye et Snoeck montrent ensuite que l’on peut exprimer analytiquement ΔN/ΔT, à savoir l’accroissement mensuel du nombre d’étages plagiotropes, en fonction de l’âge du caféier, T, et de sa durée de vie, T0, exprimés en mois:

F(T) = ΔN/ΔT = K (T)p (T0-T)q

Dans cette formule, K, p et q sont des coefficients inconnus mais à estimer par ajustement, c’est-à-dire par un recours aux courbes empiriques. Cela est possible par une simple régression linéaire une fois que l’on a linéarisé la formule précédente de la façon suivante (en supposant ici que ΔT = 1 mois) :

Log ΔN = Log K + p Log T + q Log (T0-T)

Remarquons que cette propriété de linéarisation figure là aussi parmi les grands avantages de ce modèle mathématique si l’on vise, comme c’est le cas ici, une application opérationnelle. La valeur de l’ajustement des coefficients K, p et q sur les données mesurées est ensuite estimée par de Reffye au moyen du coefficient de régression qui se trouve être très bon (R2=0.995). On peut alors exprimer explicitement le nombre total d’étages que peut former le caféier :

Cependant, il faut le noter, cela est sans intérêt immédiat puisqu’il nous faudrait pouvoir évaluer précisément l’âge de chacun des nœuds des étages plagiotropes afin de leur appliquer leur propre fonction mathématique de croissance. Il faut donc en rester à un niveau plus fin si l’on veut évaluer le nombre de nœuds fructifères sur un arbre à un âge donné.

Pour le moment donc, nous sommes seulement à même de déterminer le nombre d’étages créés par mois à un âge donné. Or, on cherche à connaître le nombre total d’étages plagiotropes à un âge fixé pour pouvoir ensuite les faire pousser un à un à partir de leur date d’apparition. Il faut donc d’abord exprimer le laps de temps qui est nécessaire pour qu’un nouvel étage apparaisse à un âge donné et sommer ensuite tous ces laps de temps élémentaires valables à chaque instant T(i) jusqu’à obtenir T, l’âge du caféier :

T = Σ ΔT(i) = Σ F-1 (T(i))

Il faut donc prendre l’inverse de la fonction explicite F(T) précédente ( F-1 (T) ou 1/ F(T) ) et additionner à de nombreuses reprises les valeurs numériques qu’elle prend aux différents moments auxquels apparaît un nouvel étage. Or, c’est ce type de calcul itératif qui commence à exiger le recours à un calculateur :

‘« Le cumul des ΔT ne peut s’effectuer qu’avec un calculateur. » 1526

Le calcul de la croissance orthotrope est décomposé et se fait pas à pas car il n’y a plus d’expression mathématique explicite et simple. L’ordinateur est ici exigé en ce qu’il permet de calculer à chaque moment le laps de temps qu’il faut pour qu’un autre événement (à savoir la formation d’un étage plagiotrope supplémentaire) intervienne, cela jusqu’à l’âge T qui nous intéresse ; et, ce faisant, son programme empile dans une variable N (N = N+ 1 à chaque passage) le nombre de fois où il a fait ce calcul. Le nombre N obtenu au final, c’est-à-dire lorsque le programme s’arrête, correspond bien au nombre total d’étages plagiotropes du caféier à l’âge T.

Pour de Reffye et Snoeck, cet organigramme intermédiaire a l’intérêt de simuler la croissance orthotrope telle qu’elle se manifeste réellement dans l’arbre : par étapes et par laps de temps successifs. Malgré un fondement mathématique continuiste dans les fonctions des modèles élémentaires ou sous-modèles, on trouve là une possibilité de discrétiser de façon réaliste les événements de croissance puisqu’on n’exprime pas le nombre d’étages en fonction du temps mais, au contraire, le laps de temps qu’il faut pour qu’un étage se crée. C’est la première entorse à leur première interprétation de la notion de « simulation » telle que nous l’avions vue précédemment.

De façon significative, les auteurs adoptent donc un point de vue tout à la fois plus historique et plus proche du travail de « décision » attribué à l’arbre en tant qu’il est un acteur de sa croissance. C’est le moyen le plus simple selon eux si l’on veut pouvoir poursuivre la modélisation en traitant ensuite mathématiquement la croissance de ces étages formés puisqu’il sont désormais précisément situés temporellement, c’est-à-dire du point de vue de leur origine temporelle. Les auteurs se sont ainsi créé la possibilité d’avoir ces données temporelles intermédiaires (les dates de formation de chacun des étages plagiotropes). Ils ont synthétisé des données en quelque sorte. Elles sont en effet cruciales pour l’estimation du nombre de nœuds fructifères, comme nous le verrons.

La simulation procède donc ici par modèles d’abord découplés de façon à se créer des données intermédiaires qui soient elles-mêmes traitables par un deuxième modèle mais plus précisément que les seules données du problème accessibles immédiatement par la mesure. De plus, la validation du modèle se fait ici par étapes, comme sa constitution et en même temps qu’elle. En effet, le premier modèle mathématique peut être validé séparément, à l’étape à laquelle nous en sommes pour le moment, c’est-à-dire avant même que la synthèse finale entre les deux modèles mathématiques ne soit faite. Cela est dû à la propriété qu’ont les données intermédiaires créées par le premier modèle (ici le nombre d’étages plagiotropes formés par unité de temps) de correspondre à des observables biologiques susceptibles de conduire à d’éventuelles invalidations patentes du modèle partiel. Même si, en lui-même, il n’intéresse pas directement la résolution du problème posé, le premier modèle partiel ou sous-modèle se présente donc comme validé de façon autonome.

Notes
1526.

[Reffye (de), Ph. et Snoeck, J., 1976], p. 15.