Le sous-modèle de la croissance des rameaux et l’organigramme intégrateur

Poursuivons sur ce point afin de saisir comment les auteurs décident ensuite de coupler concrètement leurs modèles mathématiques partiels. Car, avant de reconstituer une représentation totale de la croissance et de l’architecture de l’arbre, il nous faut auparavant avoir un modèle de croissance des étages plagiotropes dès lors que l’on connaît déjà un modèle de leur formation. Il s’agira d’un deuxième modèle partiel dont on peut considérer que son action mathématique suivra, dans le temps du calcul, l’action du premier : le découpage du modèle général en modèles partiels suit la chronologie même des phénomènes biologiques réels. Pour ce deuxième modèle, de Reffye et Snoeck vont procéder d’une façon similaire à celle qu’ils avaient adoptée pour la modélisation de la formation des étages. Ils vont tout d’abord avoir une approche observationnelle sur un grand nombre d’étages plagiotropes. Dessinant la courbe du nombre de nœuds formés en fonction du temps, ils constatent que l’on peut la modéliser de façon vraisemblable par un modèle mathématique simple de la forme suivante :

g(t) = n0 (1- e-rt)

où « n0 est le nombre maximal de nœuds que peut atteindre un plagiotrope et r un paramètre mesurant la vitesse de croissance » 1527 . La seule justification qu’ils apportent ici s’exprime dans l’affirmation que c’est, selon leur propre terme, la forme de la courbe observée qui leur a « suggéré » 1528 ce type de modèle. De même, en linéarisant comme précédemment, c’est-à-dire par passage au logarithme, il leur est possible de trouver, par régression, un ajustement qui s’avère tout à fait « excellent » selon leurs dires. Ainsi trouvent-ils, pour le clone dit 182 de Coffea Robusta, une fonction g (t) qui exprime le nombre de nœuds émis par unité de temps sur un étage plagiotrope donné. Mais tous les nœuds formés ne sont pas fructifères. À chaque instant il faudrait donc pouvoir déterminer combien parmi les nœuds formés sont réellement fructifères.

Dès lors apparaît une étape au cours de laquelle les auteurs font intervenir un certain savoir botanique d’observation. Comme pour l’hypothèse de dissociation des processus de formation et de croissance des étages plagiotropes, ce savoir botanique reste cependant relativement élémentaire. On peut en effet considérer qu’après leur formation et au cours de leur croissance, les étages plagiotropes passent successivement par trois phases distinctes : les nœuds produits portent des feuilles, ensuite ils entrent dans une phase pendant laquelle ils sont fructifères, enfin ils se dénudent. Sur un même rameau, il y a donc trois zones : une zone à nœuds feuillus qui se trouve au bout du rameau, une zone à nœuds dénudés située à la base du rameau et une zone à nœuds fructifères située entre les deux. Or, d’après les relevés disponibles, il est possible d’estimer la durée de vie d’une feuille ainsi que celle d’un nœud fructifère. Tout nœud qui apparaît au bout du rameau se présente d’abord comme pourvu de feuilles. Il le sera jusqu’à un certain temps t0 qui est la durée de vie moyenne d’une feuille. Donc, sur un même rameau plagiotrope, le nombre total de nœuds portant des feuilles à l’instant t est :

Par la suite, les nœuds fructifères étant « également bornés dans le temps entre un temps minimal d’apparition t1 et une durée de vie maximale t2 », 1529  « il y a trois possibilités en ce qui concerne le rameau de rang k,

D’après les observations faites sur les arbres réels, les auteurs estiment qu’en moyenne :

t0 = 10 mois, t1 = 6 mois et t2 = 19 mois 1530 .

Il leur est donc possible d’écrire ces équations de façon chiffrée. Les modèles mathématiques partiels sont au final tous intégralement interprétés 1531 . Il est possible aux auteurs de proposer ce qu’ils appellent significativement une « Synthèse globale de la croissance du caféier » :

‘« En recombinant les instructions de croissance de la tige et des rameaux, on obtient en quelque sorte le programme de la croissance et du fonctionnement génétique et physiologique de l’arbre. Ce programme peut se mettre sous trois formes équivalentes, bien que très différentes :
a) organigramme du programme de croissance,
b) architecture de l’arbre à l’instant T,
c) graphe théorique des courbes de rendement. » 1532

Ce passage présente l’intérêt de fournir un grand nombre d’indices sur l’état d’esprit nouveau dans lequel les auteurs ont fait ce travail de modélisation. Tout d’abord, le processus biologique de croissance et de mise en place de l’architecture est explicitement assimilé à un « programme » de calculateur qui aurait ainsi à exécuter un certain nombre d’« instructions » successives. De ce fait, le modèle semble ici ne plus se réduire aux expressions mathématiques convoquées, aux calculs, mais il s’étend à l’ensemble des instructions du calculateur automatique programmable, c’est-à-dire au programme informatique tout entier. Or notons bien qu’il s’agit ici de beaucoup plus que d’une simple métaphore issue de cette vogue pour la cybernétique qui a été propre à la biologie des années 1960-1970. En effet, dans ce cas de figure, il est incontestable que le programme existe et qu’il n’est donc pas une spéculation ni une idée régulatrice. Certes, c’est une construction humaine. En ce sens, il s’agit d’un artefact. Mais c’est le résultat à la fois tangible et opérationnel de cette recherche. Et les auteurs sont donc naturellement tentés de passer de l’analogie à l’identification puisque ce programme informatique est un simulateur dès lors qu’il reconstitue chaque étape biologiquement significative de la croissance de l’arbre. Le terme « simulation » désigne le fonctionnement total du modèle mixte ou composite et non plus seulement le calcul approché d’une fonction mathématique explicitée. La « simulation » est une reconstitution car l’organigramme reconstitue pas à pas la mise en place des étages plagiotropes ainsi que celle des entre-nœuds qui croissent sur ces étages.

Organigramme simplifié de la « synthèse globale de la croissance du caféier »
Programme du modèle mathématique continu (1976) 1533
1 - au début du programme, on entre l’âge final T de l’arbre.
2 – Formation du rameau : avec la fonction F(t), le programme calcule le temps qu’il a fallu pour que le premier rameau ou le rameau suivant se forme. L’âge courant t de l’arbre est alors incrémenté de ce laps de temps. L’âge du rameau courant va donc être T-t.
3 – Etat de croissance du rameau : ensuite, deux solutions sont possibles : si T-t < t1, le rameau est trop jeune et ne porte que des feuilles, le programme s’arrête car tout autre rameau qui pousserait serait désormais plus jeune donc sans fruits également ; sinon il y a encore deux sous-possibilités : si T-t < t2 alorsΔnfructifères = g(T- t-t1) (le rameau est trop jeune pour qu’il s’y trouve des nœuds dénudés), sinonΔnfructifères = g(T-t-t1) – g(T-t-t2) 1534 (ce sont des nœuds assez vieux mais aussi assez jeunes qui sont fructifères et il y a donc des nœuds dénudés),
4 - ensuite le programme incrémente le nombre courant de nœuds duΔnfructifères calculé précédemment, et il incrémente le nombre courant de rameaux de 1 (Fin du test de l’état de croissance du rameau),
5 - enfin si t<T le programme boucle sur l’étape 2 qui verra la formation du rameau suivant (Fin du test de formation du rameau courant), sinon il s’arrête.
À la fin, le nombre courant de rameaux est le nombre total de rameaux de l’arbre à l’âge T et le nombre courant de nœuds fructifères est le nombre total de ses nœuds fructifères.

Avec cet organigramme, on voit bien que le fonctionnement du premier modèle mathématique F(t) est échantillonné ou, si l’on veut, fractionné, de façon à laisser s’effectuer, à chacune des étapes déterminées par la fonction F(t), le fonctionnement du second modèle mathématique g (t). Sans la programmation sur ordinateur, il n’aurait pas été possible d’effectuer cette fragmentation et donc de conserver la complexité de chacun de ces modèles mathématiques telle quelle. Il aurait fallu trouver des modèles plus simples dont la composition aurait été calculable à la main ou bien encore un modèle mathématique global également calculable à la main comme ceux que proposaient habituellement les biométriciens de l’IFCC.

Notes
1527.

[Reffye (de), Ph. et Snoeck, J., 1976], p. 18.

1528.

[Reffye (de), Ph. et Snoeck, J., 1976], p. 18.

1529.

[Reffye (de), Ph. et Snoeck, J., 1976], p. 17. Le rappel sur les ∆T a pour fonction de nous préparer ici à intégrer les nombres de rameaux dans l’organigramme général de traitement de la croissance, c’est-à-dire dans le traitement combiné du second modèle partiel par le premier modèle partiel.

1530.

[Reffye (de), Ph. et Snoeck, J., 1976], pp. 18-19.

1531.

Nous simplifions ici les réflexions. Les auteurs traitent également du cas où le rameau plagiotrope ramifie à son tour ([Reffye (de), Ph. et Snoeck, J., 1976], pp. 20-22). Ce qui intervient pour le clone Robusta 126. Mais cette complication ne change pas l’esprit de la méthode adoptée et peut donc être mise de côté sans grand dommage pour notre exposé.

1532.

[Reffye (de), Ph. et Snoeck, J., 1976], p. 23.

1533.

Ce résumé simplifié s’inspire directement de l’organigramme symbolique qui est figuré dans l’article à la page 23.

1534.

[Reffye (de), Ph. et Snoeck, J., 1976], p. 23.