Résultat : des préconisations précises pour le sélectionneur

Finalement, quelles sont les retombées opérationnelles pour ce programme intégré que propose de Reffye ? À la fin de la présentation de son travail de simulation, il insiste essentiellement sur les préconisations que l’on peut en tirer pour le sélectionneur agronome. Même si, avec son nouveau programme, il complexifie et rend plus réalistes les représentations du caféier en fractionnant davantage encore la modélisation logico-mathématique qui la sous-tend 1552 , son recours à la simulation de la verse et à sa visualisation sur table traçante 1553 passe avant tout pour une confirmation de la validité des équations théoriques elles-mêmes adaptées des formulations classiques de la résistance des matériaux.

La simulation et la visualisation ne sont donc pas d’abord présentées comme des fins en soi. Elles doivent plutôt jouer le rôle argumentatif d’une confirmation empirique seconde en tant qu’elles donnent la possibilité d’une comparaison directe des résultats « théoriques » avec les observables en champ : par une sorte de transitivité de la confirmation, l’expérimentation confirme la simulation qui elle-même confirme le sous-modèle théorique pour le phénomène de verse. Cette comparaison du champ et de la simulation peut se faire à l’œil nu mais aussi plus rigoureusement avec des outils statistiques adaptés. En effet, grâce à la technique de la modélisation mathématique fractionnée et recombinée, la visualisation de la verse est fondée ici sur une formalisation théorique qui se présente clairement comme surajoutée et comme imbriquée dans la formalisation antérieure de la croissance architecturale et géométrique déjà validée pour elle-même. Il est donc possible de considérer comme relativement validé ce nouveau morceau de théorie dès lors que la simulation globale donne une représentation toujours plus fidèle de la réalité, surtout du point de vue du nouveau phénomène particulier qui nous intéresse : la verse. S’appuyant sur ces considérations épistémologiques, assez peu explicites dans l’article parce qu’elles lui paraissent évidentes 1554 , l’auteur se concentre sur ce qui lui semble validé afin d’en tirer les bénéfices pour l’entreprise de sélection de l’IFCC : la reconstitution, à l’aide des sous-modèles de résistance des matériaux (notamment avec les formules de la « force critique », force à partir de laquelle la tige du caféier flambe), d’un scénario mathématique de combinaison des caractères génétiques intervenant dans la casse, sert à désigner les marqueurs génétiques qu’il faut en dernier ressort sélectionner. Ainsi écrit-il :

‘« Le modèle mathématique mis au point permet de définir avec précision le rôle de chaque paramètre de l’architecture du caféier dans la résistance à la verse. Les progrès réalisés par la sélection sur chaque paramètre peuvent faire l’objet d’une simulation, pour voir directement l’amélioration de la stabilité qui en découle. » 1555

Le genre de sélection qu’évoque de Reffye s’effectue par bouturages des souches qui s’avèrent les meilleurs en champ du point de vue du caractère que l’on choisit. Comme la méthode logico-mathématique qu’il préconise donne aussi à l’expérimentateur les moyens de mesurer précisément et sans ambiguïté les caractères principaux intervenant dans les équations du sous-modèle mécanique (module de Young, longueur de l’entre-nœud, diamètre des tiges), elle donne finalement la possibilité au sélectionneur de disposer de critères précis pour ses propres décisions. Il pourra ainsi tout à la fois mesurer des critères et prédire le comportement en stabilité des souches qu’il aura sélectionnées. La modélisation logico-mathématique est peut-être une formalisation mixte, impure pourrait-on dire. Il n’en demeure pas moins que son avantage décisif est donc de désigner et d’intégrer de l’expérimentable, du mesurable, dans des computations prédictives.

Notes
1552.

On a en effet affaire à quatre modules principaux qui correspondent chacun à un sous-modèle propre à un phénomène biologique particulier : la croissance de la tige, la croissance des rameaux, la verse de la tige et la flexion des rameaux. Ces quatre sous-modèles mathématiques sont enchevêtrés dans leurs usages : ils s’instrumentalisent les uns les autres successivement et mutuellement en fonction de conditions logiques déterminées par les résultats quantitatifs des sous-modèles eux-mêmes (conditions de branchement logique axées sur les dépassements des temps critiques ou des poids critiques des rameaux, etc.). La structure de l’automate, ou séquence des états logiques, d’un tel programme (pourtant très simple) dépend donc du fonctionnement de l’automate lui-même. On ne saurait donc se dispenser de son fonctionnement pas à pas pour en connaître la structure et la dynamique.

1553.

Rappelons que la machine HP 9820 ne disposait pour tout écran que d’une ligne de 16 diodes électroluminescentes dont la conception électronique ne permettait que l’affichage de combinaisons alphanumériques et non de dessins proprement dits. La conception électronique des LEDs faisait qu’elles ne disposaient chacune que de 35 « points lumineux » (matrice de 7 lignes sur 5 colonnes) qui pouvaient être alternativement rendus luminescents ou non en fonction de la structure logique du signal arrivant à leurs bornes. C’est cela qui leur permettait d’afficher uniquement des caractères alphanumériques. La machine devait donc recourir à un périphérique appelé « plotter », le HP 9862 A, littéralement un « traceur de points » et non une « imprimante », qui, de façon électromécanique, faisait circuler un stylo sur une surface plane sur laquelle on disposait (en fait on la fixait fortement pour ne pas que le passage du stylo l’arrache !) une seule feuille blanche. La machine reconnaissait cette surface d’écriture comme une matrice logique de points équivalents et indépendants les uns des autres. Le stylo circulait au-dessus de cette matrice au moyen d’une barre coulissante elle-même doublée d’un chariot coulissant susceptible d’abaisser le stylo sur la feuille, ou de le relever, quand il le fallait. Pour changer de couleur, il fallait changer le stylo par une intervention manuelle.

1554.

Dans quelle mesure peut-on admettre que l’on a validé un sous-modèle théorique intervenant dans une simulation globale à côté d’autres sous-modèles déjà validés, quand cette simulation globale elle-même semble validée ? À cause de l’enchevêtrement fondamental et explicite des sous-modèles, on ne peut pas décemment se reposer sur une hypothèse d’additivité des modèles permettant d’affirmer que les validations s’ajouteraient donc pourraient également se soustraire : SM1 (sous-modèle 1 validé) + SM2 (sous-modèle 2 à valider) = SIM (simulation globale validée) « donc » SM2 = SIM validée - SM1validé est « validé » ? On voit bien que l’enchevêtrement des SM est précisément ce qui empêche ce type de raisonnement. On pressent même qu’il faudrait une sorte d’« orthogonalité » (apparentée à celle qui peut intervenir entre des espaces vectoriels) entre les sous-modèles impliqués (ou leurs formalismes) pour que des opérations de validations indirectes de ce genre puissent être effectuées légitimement et en toute rigueur. Dans le milieu de la modélisation en sciences du vivant, ce type de préoccupation est devenu explicitement crucial seulement à partir du milieu des années 1990, essentiellement à partir de la modélisation orientée-objet : voir [Coquillard, P. et Hill, D. R. C. Hill, 1997], pp. 183-200. De son côté, en 1976, de Reffye ne se pose pas vraiment le problème dans toute sa rigueur, précisément parce qu’il considère en fait que la première partie de son article a déjà validé de façon autonome le sous-modèle de résistance à la verse. Il se pose un problème suffisamment simple pour que SM1 et SM2 puissent paraître tous les deux validés séparément avant la simulation globale. SM2 avait été en effet calibré et diversement testé, donc validé, par des expérimentations mécaniques indépendantes et directes sur les rameaux et sur la tige. De plus, il nous présente SM2 davantage comme une application des méthodes de la physique des matériaux que comme un simple transfert de modèle, ce qui aurait eu sinon pour effet de lui donner une moindre légitimité théorique.

1555.

[Reffye (de), Ph., 1976], p. 267.