Simuler de manière probabiliste pour interpréter la structure des données de terrain

Pour cette étude, Philippe de Reffye collabore avec J.-P. Parvais, alors membre du laboratoire de biologie cellulaire de l’IFCC en Côte-d’Ivoire 1563 , et P. Lucas, généticien à l’IFCC. Les auteurs doivent tout d’abord mettre au point une nouvelle technique directe de comptage des grains de pollen présents sur chaque style. Par des prélèvements faits au hasard sur des fleurs de cacaoyer entre janvier et avril 1977 et par des techniques de préparation et d’observation des styles de ces fleurs au microscope 1564 , le décompte peut être fait directement, à l’œil, par un assistant.

Or on sait que pour qu’une fleur de cacaoyer soit fécondée et donne une cabosse, il est nécessaire qu’en moyenne trente-cinq grains de pollen se soient auparavant déposés sur son style 1565 . On sait également que les grains de pollen ont tendance à s’agréger dans la fleur avant d’être véhiculés sur une autre. Les grains arrivent ainsi souvent par agrégats sur le style récepteur. Ainsi on comprend tout de suite qu’il existe un très grand nombre de scénarios possibles pour une dépose fécondante d’au moins 35 grains au total, celle qui intéresse l’agronome : cela peut être un seul dépôt d’un agrégat de 35 grains ou, au contraire, plusieurs dépôts de quelques grains à chaque fois et menant finalement à un total de 35. Au vu de la méthode de comptage directe employée, la seule donnée expérimentale à laquelle les chercheurs ont accès est la distribution statistique du nombre total de grains arrivés sur le style. Or, cette méthode, aussi précise soit-elle, a pour effet de mélanger les grains qu’il aurait fallu distinguer en fonction de leurs scénarios originels de dépose. Mais c’est précisément ce type de scénario qui est inaccessible à l’expérience comme l’ont montré les tentatives antérieures de suivi des grains par marquage radioactif. Cette nouvelle méthode de mesure, malgré sa précision, confond donc deux processus qu’il faudrait distinguer. Sous l’impulsion de de Reffye et de sa maîtrise croissante des combinaisons de modèles mathématiques, les auteurs de l’article vont donc d’abord s’attacher à distinguer théoriquement, puis par simulation, ces processus. Ainsi, en collant au plus près de la séquence réelle (ou plutôt réaliste) des événements biologiques et écophysiologiques, il devient possible d’analyser les seules données accessibles et de les fractionner selon leurs sources probables. Il s’agit de tâcher de reconstituer les scénarios plausibles avec leurs probabilités propres.

Dans un premier temps, les auteurs cherchent à établir la loi de répartition finale des grains de pollen sur les styles. Avec leur méthode de comptage, ils sont capables d’établir la distribution empirique des nombres de grains de pollen par style. En même temps, ils déterminent la loi du processus qui se situe en amont de la dépose de pollen. Ils obtiennent ainsi une deuxième loi, la loi d’agrégation des grains de pollen (fréquence des effectifs en grains par agrégats), en se concentrant sur la partie des fleurs qui est émettrice de pollen, c’est-à-dire sur les étamines. Par une observation directe, là aussi, ils « dénombrent la fréquence des agrégats constitués de 1, 2, …n grains de pollen » 1566 sur les étamines. En représentant graphiquement les distributions empiriques de ces deux « lois » 1567 supposées, de Reffye reconnaît dans les deux cas « l’allure » d’une fonction de type y = A.xα. Ayant fait ces observations sur deux arbres distincts, il peut également dire que l’allure des distributions reste la même, quel que soit l’arbre, et que seuls les paramètres des lois mathématiques semblent changer. La loi d’agrégation, par exemple, serait donc une « caractéristique de l’arbre étudié » 1568 .

Dans un deuxième temps, les auteurs se penchent sur le processus central qui se trouve être mal connu parce qu’il est rebelle à toute mesure expérimentale précise : le transfert de grains de pollen entre fleurs, que ce soit par agrégats ou à l’unité. Il s’agit donc du processus à la fois biologiquement et chronologiquement intermédiaire entre le processus déjà modélisé de l’agrégation initiale des grains dans la fleur émettrice, et le résultat final, également modélisé, de la répartition des grains sur le style de la fleur réceptrice 1569 . A priori, on peut considérer que la composition de ce processus avec celui de l’agrégation des grains de pollen conduit au résultat final observé et déjà représenté par un modèle mathématique. Pour les auteurs, il est alors envisageable de modéliser ce phénomène de transfert dès lors qu’il est bien circonscrit par deux modèles en amont et en aval. Or, cette définition du modèle d’un processus par une méthode d’encadrement entre deux modèles explicites est particulièrement intéressante parce qu’elle autorise que l’on se passe de descriptions fines du processus en question : « il n’est pas nécessaire de préciser la nature de l’agent vecteur de pollen » 1570 . Elle est en quelque sorte une définition en creux du modèle inconnu. Elle présente l’immense avantage d’en rester à une distance suffisamment lointaine, à une échelle suffisamment globale des processus élémentaires variés qui le composent, sans que, pour autant, on perde la possibilité de chiffrer précisément les phénomènes de fécondation. Ce qui était en revanche un obstacle pour les méthodes antérieures.

Cependant, même si ce type de modélisation nécessite peu d’hypothèses, il faut tout de même définir clairement et rigoureusement le sens biologique général de cette étape de transfert. À cette fin, les auteurs introduisent la notion de « passage efficace ». Ils la conçoivent comme désignant « tout phénomène qui aboutit au dépôt d’un agrégat de pollen » 1571 . C’est alors la probabilité pi pour qu’un style donné bénéficie de i « passages efficaces » qu’il leur est possible d’évaluer par cette méthode d’encadrement. Il leur est en effet aisé d’écrire explicitement ces probabilités en fonction des fréquences du nombre de grains de pollen par style et des fréquences des différents agrégats dans l’étamine, seules fréquences accessibles par l’expérience. La forme de la distribution ainsi indirectement obtenue se trouve être également celle d’une loi exponentielle (de forme y = A.xα). Les auteurs trouvent donc un ajustement chiffré pour cette loi de probabilité. À partir de cet ajustement, ils peuvent alors calculer ce qu’ils appellent des « valeurs théoriques » de chaque probabilité de passage efficace correspondant à chaque nombre de grains de pollen. Ces valeurs sont théoriques puisqu’elles sont trouvées indirectement, à partir de la méthode d’encadrement par les deux modèles en amont et en aval du processus global.

Notes
1563.

J.-P. Parvais est ingénieur agronome de formation et docteur en physiologie végétale. À cette époque, il travaille également sur des souches spontanées de café Robusta haploïde et sur leur possible utilisation pour l’amélioration des hybrides déjà existants à l’IFCC.

1564.

Ces techniques de prélèvement, d’écrasement de la préparation et de coloration sont décrites dans l’article commun de 1977, [Parvais, J.-P., Reffye (de), Ph. et Lucas, P., 1977] aux pages 253 et 254.

1565.

[Massaux, F., Tchiendji, C., Misse, C. et Decazy, B., 1976], p. 165.

1566.

[Parvais, J.-P., Reffye (de), Ph. et Lucas, P., 1977], p. 254.

1567.

Le terme de « lois » est celui-là même des auteurs.

1568.

[Parvais, J.-P., Reffye (de), Ph. et Lucas, P., 1977], p. 256.

1569.

Les auteurs indiquent qu’ils ne précisent pas la modélisation de ce processus au point de distinguer les « parts respectives d’auto- et d’allo-pollen », sachant en effet qu’une fleur peut recevoir le pollen de sa propre étamine sur son style. Dès lors que, du point de vue du résultat final, une telle précision peut sembler superflue, il ne leur semble pas utile de détailler le scénario jusqu’à ce point.

1570.

[Parvais, J.-P., Reffye (de), Ph. et Lucas, P., 1977], p. 256.

1571.

[Parvais, J.-P., Reffye (de), Ph. et Lucas, P., 1977], p. 256.