La réception du modèle de simulation aléatoire pour le cacaoyer

Lors de la sixième conférence internationale sur les recherches cacaoyères, qui s’est tenue à Caracas du 6 au 12 novembre 1977, deux des auteurs de ce modèle de simulation (de Reffye et Parvais) présentent leur travail. Nous ne disposons ici d’aucun écrit qui pourrait directement rendre compte de ce qui s’y est dit. Mais, en se référant au rapport de synthèse, il est possible de se livrer, quoique avec prudence, à quelques suppositions au sujet de la réception de ce travail. Il est en effet instructif de remarquer dans quelle « session technique » les organisateurs du colloque ont choisi de le situer : il s’agit de la 7ème session, dite des « pollinisateurs » 1589 . Comme dans le cas de la réception du modèle de croissance du caféier, le caractère innovant en ce secteur des choix de modélisation n’est pas tellement mis en avant. Mais au regard des noms des autres sessions techniques de la conférence, la particularité de l’approche de de Reffye ne semble effectivement pas pouvoir s’inscrire dans une catégorie qui lui conviendrait beaucoup mieux. Dans la session « pollinisateurs », on trouve cependant la référence à un autre travail mené au Brésil et qui propose une approche des pollinisateurs des cacaoyers par des méthodes de type « dynamique des populations ». Avec le modèle de simulation aléatoire que nos auteurs (et surtout de Reffye) y présentent également, c’est un voisinage qui semble a posteriori placer cet article de l’IFCC dans la nette filiation de la dynamique des populations alors même que ses auteurs ne s’en sont pas initialement réclamés. Ce rapprochement paraît en effet bienvenu puisque, dès 1945, nous l’avons vu, les processus aléatoires ont été utilisés par P. H. Leslie 1590 dans cette discipline qui se trouve très proche, tant par ses méthodes que par ses objets, de la démographie et de l’écologie des populations. Ainsi le rédacteur (anonyme) du rapport de synthèse insiste tout de même assez nettement sur l’apport de la simulation dans l’approche du problème spécifique à la pollinisation du cacaoyer :

‘« En Côte d’Ivoire, J. P. Parvais, Ph. de Reffye et P. Lucas (IFCC) sont parvenus à une analyse mathématique des données d’observation sur la pollinisation libre chez le cacaoyer. L’observation de la pollinisation des styles et la connaissance de la loi d’agrégation du pollen permettent de définir précisément le mode d’action des vecteurs pollinisateurs. Des méthodes de simulation permettent de reconstituer exactement les phénomènes naturels. L’application du modèle et sa simulation permettent de contrôler les différentes modalités de la pollinisation d’un cacaoyer et de préciser l’éventuelle influence des facteurs externes sur elle. » 1591

Ainsi cette restitution rapide figurant dans le rapport de synthèse semble assez fidèle à l’esprit des chercheurs impliqués, au mouvement de leur pensée et au sens de leurs choix techniques. Ce travail paraît donc avoir bénéficié d’une meilleure écoute que ceux qui ont porté sur la modélisation de la verse du caféier par exemple. Au regard des éléments fragmentaires dont nous disposons et que nous avons rapportés précédemment, il nous est possible de supposer que cet accueil plus « compréhensif » a tenu au fait que l’auditoire (constitué en majorité d’agronomes et de biologistes) était mieux préparé à la reconnaissance de la pertinence des modèles aléatoires. Par l’objet qu’il cherche à modéliser préférentiellement (le comportement aléatoire des insectes pollinisateurs), ce travail peut en effet s’apparenter très directement à l’étude dynamique d’une population et de son comportement de déplacement ou de flux, la population étant ici celle des insectes se déplaçant individuellement de façon plus ou moins aléatoire dans l’espace et dans le temps.

Toujours est-il que, dans ce contexte de recherche agronomique, c’est essentiellement l’objet d’étude, le cacao, et non les méthodes employées, qui prime encore puisque cet objet sert en retour à la classification des travaux présentés, comme ce sera également le cas, deux semaines plus tard, au colloque international sur le café d’Abidjan. C’est en effet de façon centrifuge, par rapport à la production finale en cacao et aux différents angles d’attaque de ce même problème, que les sessions de la conférence s’ordonnent les unes aux autres. Pour finir, indiquons que, dans la bibliographie analytique habituelle de la revue, l’article sur ce modèle aléatoire de pollinisation figurera cette fois-ci, de façon tout aussi peu convaincante, dans la catégorie « amélioration » alors que le second article de 1978 des mêmes auteurs 1592 , qui étendra la modélisation à la question des impacts sur le rendement en cacao, se trouvera rangé dans la rubrique « biologie ». Décidément, en cette fin des années 1970, la modélisation ni la simulation ne trouvent à se classer de façon stable et convaincante dans les rubriques de la revue de l’IFCC.

Notes
1589.

Voir [Café, Cacao, Thé, Vol. 22, n°1, 1978], p. 62. À ce colloque sur le cacao, il existe en tout treize sessions techniques : 1- résistance aux maladies, 2- épidémiologie, 3- protection des plantes, 4- virologie, 5- phytopathologie en général, 6- mirides, 7- pollinisateurs, 8- insectes déprédateurs secondaires, 9- sélection et agronomie, 10- pédologie, 11- économie, 12- technologie, 13- assistance technique et vulgarisation.

1590.

Avec l’introduction de la simulation aléatoire dans la dynamique d’une population au moyen de processus stochastiques de naissance et de mort. Ces travaux ont été publiés par Leslie dans la revue « Biometrika ». Voir supra. Précisons ici que leur auteur avait d’abord calculé les occurrences des événements de ses modèles à la main avant même d’utiliser des calculateurs automatiques. Voir [Leslie, P. H., 1945] et [Leslie, P. H., 1958]. La communauté des chercheurs en dynamique des populations n’a donc pas attendu l’émergence des calculateurs numériques pour avoir l’idée non seulement de prendre en compte l’aléa mais aussi et surtout de le reconstituer, de le régénérer, dans ses modèles.

1591.

[Café, Cacao, Thé, Vol. 22, n°1, 1978], pp. 62-63.

1592.

Où figure, en plus des précédents (Parvais, de Reffye, Lucas), le nom du généticien de l’IFCC G. Mossu.