L’« analyse logique » d’un macro-événement : le nombre de fèves par cabosse

De Reffye 1593 veut donc explicitement « analyser » un histogramme dont certains prédécesseurs n’avaient considéré que la moyenne et la variance 1594 . C’est-à-dire qu’il veut déceler les constituants de cet histogramme sans le résumer prématurément par un modèle probabiliste. C’est donc son profil tout entier (son « faciès » comme il le dit 1595 ) qu’il faut prendre en considération et pas seulement ses premiers moments statistiques (moyenne ou variance). Ce qui a pu ici inciter de Reffye à entrer dans la voie de l’analyse de l’histogramme en vue de la mise au jour de ses différentes contributions, c’est notamment la prise en compte du fait empirique mesuré et constaté selon lequel le faciès de la fréquence des fèves par cabosse est très complexe : il change souvent d’aspect. Parfois, il présente deux maxima ou pics, parfois il n’en présente qu’un. Quand il n’en présente qu’un, la courbe peut être soit à symétrie négative, soit à symétrie positive. Autant dire que le talent heuristique qui lui avait jusqu’à présent permis, à la vue de simples faciès de courbes empiriques, de suggérer des modèles mathématiques simples et ajustables se trouve ici en grande difficulté.

La seule voie lui paraît donc l’analyse puisque aucun scénario mathématique simple ne s’impose au niveau empiriquement accessible. Mais ce ne sera pourtant pas une analyse de variance. Ce genre d’analyse de phénomène global postule trop une homogénéité relative des sous-modèles constituants, donc leur commensurabilité, c’est-à-dire encore leur uniformité et leur compatibilité mathématique mutuelle. C’est précisément ce dont permet de se dispenser en revanche l’analyse par construction de sous-modèles postulés ou validés localement, c’est-à-dire validés à leur échelle. C’est là que de Reffye fait donc nettement le choix de la complexité. Il décide que ce phénomène est global, qu’il résulte d’une multiplicité de facteurs enchevêtrés et hétérogènes, autrement dit, qu’il est complexe. Bien sûr, il s’aide de considérations biologiques bien connues pour s’encourager en ce sens. Mais on voit bien que ces seules considérations biologiques n’auraient pas suffi. Car, alors même qu’elles étaient également connues de ses prédécesseurs, elles n’avaient pas été intégrées en tant que telles dans leurs modèles statistiques. C’est donc bien cette décision pour la complexité et sa modélisation, c’est cela qui l’amène à l’hypothèse implicite déjà évoquée et qui traverse tout ce travail : la supposition qu’il est pertinent de chercher une échelle micro-événementielle, dont il espère tirer des sous-modèles ajustables. En ce sens, le travail de 1978 témoigne d’un affermissement plutôt que d’un infléchissement de l’esprit qui avait animé de Reffye dès ses premiers travaux de 1975 et 1976.

Tout naturellement, c’est donc dans un ordre conforme à l’ordre chronologique réel de ces micro-événements biologiques supposés que de Reffye va successivement proposer les sous-modèles mathématiques censés les représenter. Dans un premier temps, il reprend les acquis de l’article de 1977 sur la loi de répartition du pollen sur les styles puisque toute fécondation commence par cet épisode. Mais pour la question qui est désormais posée (se pencher essentiellement sur l’aval de la fertilisation des ovules et non sur l’amont : la pollinisation), il devient possible de faire abstraction de la distribution des « passages efficaces » comme de la distribution des amas de pollen dans les étamines et de se contenter de la loi de répartition finale. Il est d’ailleurs instructif de constater que ce qui, en 1977, était à considérer comme un histogramme macro-événementiel global et à analyser en ses différentes contributions, devient, en 1978, un histogramme micro-événementiel élémentaire. De Reffye ne fait donc pas de l’analyse des phénomènes temporels une fin en soi. La définition de l’échelle élémentaire ou du micro-événementiel n’est donc pas pour lui une donnée a priori. Elle dépend essentiellement de l’échelle macroscopique à laquelle on a accès empiriquement mais aussi de la profondeur analytique à laquelle on veut ou on peut efficacement aller. Car cette profondeur analytique dépend elle-même des instruments disponibles et des méthodes de mesure plus ou moins nouvelles ou imaginables, et susceptibles d’être mobilisés pour une enquête à la nouvelle échelle interrogée, cela en vue de l’ajustement effectif des sous-modèles. Une telle modélisation n’est pas tant déterminée par ses objectifs que par les moyens empiriques qu’elle est capable de mettre précisément, c’est-à-dire mathématiquement, en évidence et en œuvre. Elle est, pourrait-on dire, relativement déracinée mais pas totalement déracinée comme le serait en revanche une modélisation dont les éléments seraient considérés comme purement fictifs (modèle statistique) ou transversaux (modèle d’allométrie). Elle est un échantillon, une coupe longitudinale (du point de vue du temps) dans les chaînes de causalité supposées s’enraciner plus profondément dans la physico-chimie. Cette coupe ne repose certes pas sur un fondement. En cela, elle est déracinée. Mais le mouvement causal qu’elle reconstitue n’est pas sans rapport avec la direction d’ensemble de ces causalités supposées qui vont du microscopique au macroscopique. Ce modèle de simulation n’est donc pas uniquement descriptif. Il explique le phénomène relativement à l’échelle mésoscopique observable sur laquelle il se fonde. Alors que le modèle d’allométrie est statique puisqu’il ne fait pas intervenir la variable temps, le modèle de simulation est dynamique. C’est pourquoi on peut dire qu’il retrace une histoire : il réplique les détails du phénomène dans leur historicité.

Notes
1593.

Nous considérerons ici que c’est principalement de Reffye qui a imprimé sa structure rigoureuse à l’ensemble de ce travail collectif. Outre le fait qu’il s’est trouvé être le premier signataire de l’article de 1978, il y a dans ce travail, comme nous le verrons, une forte parenté avec ses travaux plus personnels de 1975 et 1976, aussi bien dans l’argumentation générale que dans la technique de modélisation

1594.

[Reffye (de), Ph., Parvais, J.-P., Mossu, G. et Lucas, P., 1978], p. 251.

1595.

[Reffye (de), Ph., Parvais, J.-P., Mossu, G. et Lucas, P., 1978], pp. 258 et 260.