L’organigramme du programme synthétique de simulation de la pollinisation

À la fin de l’article vient le moment de la synthèse de tous les sous-modèles au moyen du programme de simulation. Le matériel employé est toujours le même que précédemment. Il s’agit du HP 9825. Il n’y aura aucun dessin bien sûr mais seulement des courbes de distribution. Le cœur du programme se concentre sur le destin d’une fleur et réitère ensuite cette chronique aléatoire sur un grand nombre de fleurs. Par ce texte qui se trouve aux côtés de l’organigramme, de Reffye résume alors ce que l’organigramme indique :

‘« On peut procéder à une simulation de la pollinisation selon la méthode de Monte-Carlo.’ ‘Dans un premier temps, on tire au hasard une fleur du matin, de la veille ou de l’avant-veille (en proportion).’ ‘Dans un deuxième temps, on procède à la génération du nombre d’insectes passant sur la fleur, selon la loi de Poisson des arrivées, qui est fonction de l’âge de la fleur.’ ‘Dans un troisième temps, on procède à un chargement de grains de pollen sur les insectes, tiré au hasard de la distribution du nombre de grains de pollen par insecte.’ ‘Enfin, dans un quatrième temps, on dépose ce pollen sur le style avec une loi de probabilité, fonction du nombre de grains. L’organigramme suivant montre les opérations logiques à effectuer. » 1635

Le style de ce passage est suffisamment remarquable pour que nous nous y arrêtions un peu. Il est assez révélateur de l’interprétation que de Reffye et ses collègues ont d’un programme de simulation global. D’une part, avec l’emploi du pronom personnel « on » et des verbes d’action qui l’accompagnent, se manifeste une volonté constante d’identification entre le travail du calculateur et ce que devrait faire d’équivalent un opérateur humain. Le programme de simulation est donc pensé à l’image d’une série de tâches successives assimilables à des tâches que pourraient accomplir un homme.

On a là une trace de cet anthropomorphisme méthodologique auquel nous invite souvent la confection de modèles, y compris les modèles sur ordinateur. Car on rejoint l’idée que l’on ne conçoit bien que ce que l’on se voit soi-même faire par participation imaginative 1636 . Dès lors que de Reffye a cette fois renoncé à nous donner la liste intégrale du programme, les instructions élémentaires en HPL sont en effet métaphorisées et transformées en actions élémentaires pour être mieux explicitées.

En même temps, ce passage rédigé nous représente bien un phénomène naturel (la pollinisation par des insectes) dans sa temporalité, dans son histoire manifeste, puisqu’on y insiste beaucoup sur la scansion des étapes successives : « premier temps », « deuxième temps », etc. L’organigramme final témoigne donc d’une logique temporelle qui encadre et enchaîne des micro-événements eux-mêmes mathématisables. C’est à ce titre que l’organigramme, comme le programme, passe également pour un bilan, voire pour une récapitulation intégrale et raisonnée de l’article lui-même et de ses analyses successives. Mais où sont les résultats ?

Notes
1635.

[Reffye (de), Ph., Parvais, J.-P., Coulibaly, N. et Gervais, A., 1980], p. 94. Sur le côté droit de ce texte figure en effet l’organigramme simplifié.

1636.

Selon le principe proposé par Thomas Hobbes et repris notamment par Gianbattista Vico. Le philosophe Jean-Pierre Dupuy le formule ainsi : « Nous ne pouvons connaître rationnellement que ce dont nous sommes la cause, que ce que nous avons fabriqué », [Dupuy, J.-P., 1994, 1999], pp. 16-17. Dans notre cas, il s’agit de faire un modèle (ici, tout le programme) qui fait comme on pourrait faire si on avait temps et la possibilité d’imiter la nature comme lui. Mais cette classique transitivité du comprendre par le faire, via le médiateur qu’est supposé être le modèle, est là aussi battue en brèche, selon nous, par le modèle de simulation fractionnée. Car on ne peut plus simuler, refaire tout uniment, en son esprit le fonctionnement intégral du programme : on ne peut faire ce qu’il fait, dès lors qu’il n’y a plus de récurrence mais, au mieux, de la récursivité fractionnée et distribuée. On peut simplement comprendre séparément le genre de choses qu’il fait : les sous-routines, les sous-modèles. Mais refait-on en son esprit la recombinaison logico-mathématique pas à pas ? Comprend-on cette recombinaison ? À connaître le modèle de simulation dans ses règles, dans sa liste et dans son organigramme, y gagne-t-on pour autant une compréhension, même approchée, de ce qu’il fait ?