Une « équation mathématique » supplante la simulation : un aboutissement aux yeux des agronomes

Le dernier article 1640 que de Reffye co-signera en 1981 sur la question est d’ailleurs très révélateur de la façon dont les agronomes de l’IFCC se sont ensuite appropriés la particularité de ces travaux de modélisation du cacaoyer, cela au moment même où de Reffye soutenait sa thèse et préparait son retour en métropole (1979-1980). Cet article témoigne en effet clairement d’une ré-inflexion de la simulation vers une approche par modèle mathématique d’un seul tenant. Ce sont principalement les collègues de de Reffye, les agronomes restés en poste en Côte-d’Ivoire, qui ont fait subir cette inflexion à l’approche initiale par modèles fractionnés. Nous nommons cela une « ré-inflexion » puisqu’il s’agit pour les premiers signataires de ce travail (G. Mossu et D. Paulin) 1641 d’utiliser les paramètres clés qu’avait pu mettre au jour l’approche par modèles fractionnés et simulation pour retourner vers une modélisation mathématique de type plus classique : la modélisation globale par une simple équation mathématique close. En fait, cet article ne présente pas de sous-modèles supplémentaires. Cela se comprend aisément. Il s’agit d’une simple application des acquis formels de 1978 et 1980 à une question moins fine que les précédentes et moins tournée vers la recherche des micro-événements ou de leurs paramètres de contrôle : celle de la prévision du rendement donc de la production en cabosses et en fèves. L’objectif n’est plus de déceler les paramètres fins qui sont à l’origine de la sous-pollinisation mais de calculer globalement l’espérance mathématique de la production en fèves ou graines.

Les auteurs considèrent comme acquises les analyses de l’article antérieur sur la pollinisation. Il leur manque simplement une quantification de l’événement initial précédent la pollinisation et la fructification : la floraison. Ils se proposent donc de procéder à une estimation du nombre moyen de fleurs par arbre à partir du nombre de fleurs tombées chaque matin sur une surface de toile de 1m2. La moyenne de ce phénomène leur suffit. Ensuite, les paramètres, notamment l’exposant ‘a’ de la loi de Pareto, appelé « indice de rareté du pollen », ou le point de flétrissement 1642 différentiel des chérelles du cacaoyer décelable sur la courbe empirique du nombre de graines par cabosse, deviennent des « données expérimentales ». En fait les auteurs les acquièrent toujours indirectement en se servant des sous-modèles partiels de de Reffye. Cependant, pour ce faire, ils ne simulent pas ces sous-modèles au moyen du HP 9825 ; mais ils raisonnent sur leurs paramètres-clés et les bornes de leur validité pour en tirer une représentation quantifiée des processus moyens. Il n’est donc plus du tout question de « simulation ». Les auteurs se contentent de préciser d’ailleurs laconiquement :

‘« Les calculs numériques ont été réalisés à l’aide d’un calculateur Hewlett Packard HP 9825, muni d’un traceur de courbes HP 9862 A. » 1643

Le travail de de Reffye est donc interprété par ses collègues comme la mise à disposition d’un outil de calcul sophistiqué mais relativement homogène aux outils classiques. Par la suite, en considérant chacun des micro-événements que de Reffye avait distingués, plus précisément en raisonnant sur leurs résultantes ou sur leurs effets moyens, les auteurs arrivent à une succession d’évaluations empiriques des espérances mathématiques pour ces événements, alors même que certains calculs de moyenne à partir des formulations analytiques avaient en revanche trouvé leurs limites, comme nous l’avons vu précédemment. Avec ce procédé numérique, le processus global devient dès lors calculable sous la forme d’une combinaison multiplicative des contributions que l’on peut espérer pour chaque micro-événement. Les auteurs obtiennent au final ce qu’ils appellent significativement une « liaison mathématique entre les données expérimentales » ou « équation du rendement » :

‘C’est l’équation du rendement où X0 est la borne initiale de la loi de Pareto, Xw le point de flétrissement différentiel du clone considéré et K un coefficient de pondération, qui englobe tous les facteurs dépressifs sur le rendement, supposés sinon constants du moins peu variables (dégâts d’insectes, de champignons, « wilt » physiologique 1644 , etc.). » 1645

Quand on a le nombre de cabosses arrivant à maturation, on n’a cependant pas encore le nombre de graines ou de fèves récoltées. Il faut ensuite que les auteurs évaluent le nombre moyen de graines par cabosse pour avoir la véritable équation du rendement. C’est là qu’ils utilisent la formulation analytique de la loi de Pareto mais d’une façon « empirique » pourrait-on dire. En effet, ils ne peuvent s’appuyer sur la formulation exacte de la moyenne car elle ne converge pas ou donne une valeur aberrante, comme nous l’avons vu. Ils s’appuient donc sur le fait que cette loi de Pareto de répartition du pollen n’est empiriquement valable pour la courbe résultante globale (le nombre de graines par cabosse) qu’entre le nombre minimal de graines par cabosse X0 et le point où il y a une pollinisation suffisante et où c’est donc le nombre d’ovules par ovaires qui devient limitant. En ce qui la concerne, cette partie dans laquelle il y a une pollinisation suffisante ou saturante est modélisable par une loi binomiale. L’évaluation de son intégrale (ou fonction d’accumulation) ne présente pas de difficulté. Ils procèdent donc en quelque sorte à une intégration discrétisée et par morceaux de la loi de Pareto en supprimant la borne infinie qui posait le problème de la convergence pour le calcul exact de la moyenne. Les deux surfaces approximatives sont ensuite additionnées : elles représentent l’accumulation du nombre de graines récoltées. On peut alors sans peine trouver une « moyenne » à ce phénomène global reconstitué abstraitement (c’est-à-dire sans égard pour les divers scénarios particuliers qui y mènent) : en divisant cette somme d’intégrales par le nombre moyen de cabosses récoltées, on obtient le nombre moyen de graines récoltées par cabosse. Si on le multiplie par le nombre C de cabosses espérées pour l’arbre particulier qui nous occupe, au vu de sa floraison, on a la véritable évaluation de la production en graines de cet arbre quand il en sera venu à maturation dans M mois.

Les auteurs trouvent donc pour finir une « formule du rendement » unique qui est bien une formule mathématique close ne faisant intervenir que des multiplications, des additions et des exponentielles 1646 . En comparant la récolte effectivement obtenue et mesurée avec celle prévue par la formule mathématique, les auteurs évaluent ensuite l’erreur d’estimation à plus ou moins 15% ; ce qu’ils jugent être suffisamment bas pour faire de cette équation un bon outil de prévision.

Notes
1640.

[Mossu, G., Paulin, D. et Reffye (de), Ph., 1981].

1641.

Exceptionnellement, de Reffye ne s’y présente que comme le troisième et dernier co-signataire. L’article paraît alors que de Reffye est déjà en métropole.

1642.

Le point de flétrissement correspond au point où les ovaires ont un nombre insuffisant d’ovules fécondés pour que les fèves et la cabosse viennent à maturité. Si bien qu’en fait on trouve très rarement des cabosses pourvues de moins de treize à quinze graines. Voir [Reffye (de), Ph., Parvais, J.-P., Mossu, G. et Lucas, P., 1978], p. 258.

1643.

[Mossu, G., Paulin, D. et Reffye (de), Ph., 1981], p. 157.

1644.

Il s’agit d’un phénomène de nature physiologique au cours duquel l’arbre perd de jeunes fruits [Mossu, G., Paulin, D. et Reffye (de), Ph., 1981], p. 155.

1645.

[Mossu, G., Paulin, D. et Reffye (de), Ph., 1981], p. 161. Ajoutons que M est la durée de maturation en mois. Elle vaut entre 4 et 5 mois (ibid., p. 163).

1646.

Nous ne la restituons pas ici car elle est assez longue. De plus, elle explicite la formulation algébrique de certains paramètres relativement secondaires et que nous n’avons qu’allusivement évoqués pour la commodité de notre propre exposé. Elle nous serait donc de peu d’utilité. On peut la retrouver dans [Mossu, G., Paulin, D. et Reffye (de), Ph., 1981], p. 166.