L’application du modèle du caféier à l’étude de l’influence des engrais (1977-1980)

Nous terminerons l’évocation des travaux que de Reffye a menés en parallèle de ceux de sa thèse avec une recherche qui a porté à nouveau sur le rendement du caféier. Nous verrons que là aussi nous aurons affaire à un travail d’application de certaines modélisations antérieures par ses collègues. De fait, certains autres enseignements pourront être tirés au sujet de l’interprétation de cette nouvelle approche par les agronomes de l’IFCC.

L’affirmation selon laquelle la modélisation mathématique fractionnée, même lorsqu’elle ne fait pas intervenir de processus stochastiques, accroît le pouvoir de discrimination entre diverses pratiques agronomiques va se confirmer entre-temps dans les travaux que J. Snoeck et de Reffye vont poursuivre en parallèle sur le caféier. En effet, si le premier modèle « économétrique » de rendement du caféier, qui était fondé sur la recherche d’un optimum de production, est vite abandonné, il n’en est pas de même du modèle mathématique certain publié en 1976. Il se confirme bien que ce dernier donne une prise opérationnelle réelle sur les phénomènes qu’il représente. Alors même que de Reffye va plus particulièrement travailler de son côté à affiner et à modifier (dans d’autres directions, comme nous le verrons) ce premier modèle de croissance en vue de sa thèse d’Etat, J. Snoeck va confirmer l’intérêt de ce genre de modélisation pour la compréhension précise du rôle des engrais azotés dans l’accroissement de la productivité du caféier. Ce travail est d’ailleurs présenté par Snoeck au 9ème « Colloque scientifique international sur le café » qui se tient à Londres en juin 1980. Et il est par la suite publié dans la revue Café, Cacao, Thé d’octobre-décembre 1980.

Il s’agit en fait d’une simple application du modèle de croissance de 1976. En tant que programme informatique et en tant qu’outil technologique fonctionnant effectivement, le modèle de 1976 va ainsi entrer dans un « cycle de vie » propre, relativement autonome par rapport à son concepteur initial alors même que ce dernier travaille déjà entre-temps à le rendre obsolète. Nous pouvons voir là un parallélisme clair entre la vie des modèles mathématiques de recherche et les trajectoires de vie des produits industriels. Cela est propre en fait à la vie de tous les logiciels 1649 . Mais dans ce cas précis, le modèle réalisé dans le programme peut mener une vie relativement autonome dans la mesure où les questions auxquelles il permet de répondre sont en fait assez ouvertes, même si la problématique scientifique pour laquelle il a été expressément conçu a d’abord été plus limitée.

Pour sa part, le problème que se pose J. Snoeck n’est pas de savoir si le rendement de ses arbres est amélioré par le recours à des engrais azotés. Cela est manifestement le cas : il suffit de compter le nombre de kilogrammes de café marchand obtenus par hectare avec et sans traitement, et de comparer. Le problème est plutôt celui de reconnaître exactement les engrais exercent leur influence bénéfique sur la production en café. Il s’agit de déterminer lesquels parmi les différents facteurs du rendement sont directement et préférentiellement influencés par les engrais. Or, le modèle synthétique de de Reffye (que l’article présente cette fois explicitement comme le sien 1650 ) est supposé donner en même temps une lecture analytique précise et nouvelle des facteurs principaux présidant à la production en café : les nœuds fructifères. Pour confirmer cette idée, J. Snoeck a utilisé des mesures faites à partir de différents essais factoriels effectués sur le clone dit « 182 ». Or, comme il l’indique :

‘« Grâce à ces mesures, de Reffye a pu calculer les équations caractérisant l’architecture de ce clone et il suffit d’une série de mesures à un instant T donné pour pouvoir refaire le graphe permettant l’estimation du nombre de nœuds plagiotropes (totaux, feuillus et fructifères) que porte le caféier à l’instant T choisi. » 1651

Chaque essai d’engrais sur un certain nombre d’arbres peut donc donner lieu à des mesures moyennes représentatives du traitement qui y est fait. Ces mesures moyennes peuvent ensuite permettre l’ajustement des équations des deux sous-modèles de base servant au modèle logico-mathématique de 1976. Ces équations permettent ensuite d’exprimer le nombre de nœuds de chaque type (totaux, feuillus et fructifères) pour chaque traitement à chaque instant pour un arbre d’un âge T donné.

Ainsi, c’est dans les paramètres de ces équations que se distinguent les traitements. On y voit que l’engrais joue essentiellement sur le nombre de nœuds. Cela est montré plus clairement par l’« examen des courbes et des graphiques » 1652 (du nombre de nœuds en fonction de l’âge de chaque étage) obtenus pour les différents traitements. L’effet bénéfique de l’engrais se porte principalement sur le nombre total de nœuds et, par contrecoup, sur le nombre de nœuds fructifères. Si l’on utilise la fonction de visualisation du programme de 1976, cette différence apparaît de façon plus réaliste encore sur les profils des arbres types dessinés par la table traçante. Le pouvoir discriminant du programme de simulation permet donc bien de produire des résultats dont la signification biologique est cruciale pour l’améliorateur agronome.

Dans le cas de cette recherche, nous voyons que J. Snoeck a conservé telle quelle l’approche conçue par de Reffye. Il n’a pas désarticulé le modèle fragmenté ni la simulation comme ce sera en revanche le cas, ainsi que nous l’avons vu, dans la poursuite des recherches sur le rendement du cacaoyer. C’est que J. Snoeck pose ici une question plus précise au caféier : à quel niveau biologique, voire botanique, les engrais exercent-ils leur influence physiologique ? En disposant d’une représentation fragmentée, il peut faire l’hypothèse biologique qu’un des micro-événements modélisés se révèlera plus réceptif que les autres à un ajout en nutriments. Et c’est bien ce qui se produit. L’hypothèse biologique se confirme d’après les résultats de calibrage du modèle fractionné de de Reffye sur les mesures en champ. L’information acquise ici n’est donc pas tellement de nature quantitative ni même principalement physiologique : elle est plutôt qualitative et morphologique, puisqu’elle décide quel type d’événement morphologique est concerné en priorité par l’ajout d’engrais et non principalement dans quelle quantité, dans quelle proportion, etc. Cela n’est rendu possible que parce que, dès le modèle d’architecture de 1976, le caféier avait été représenté géométriquement de façon déjà assez réaliste et détaillée. Snoeck n’a pas besoin du modèle plus complexe de la thèse de 1979 pour voir cette seule hypothèse s’avérer. Il choisit le modèle de simulation le plus simple (et déjà publié) pour développer son argumentation. Comme nous allons le voir néanmoins, c’est cette orientation vers une représentation plus fidèle du caféier que de Reffye a pour sa part suivi dans le cadre de son travail de thèse.

Notes
1649.

La notion de « cycle de vie » est en effet explicitement et publiquement employée par la firme américaine Microsoft, par exemple, pour justifier les lancements gradués et calculés de ses divers logiciels de bureautique.

1650.

Dans l’article de 1980 [Snoeck, J. et Reffye (de), Ph., 1980], même s’ils sont encore tous les deux cosignataires comme dans l’article de 1976, le modèle de 1976 est en fait explicitement et exclusivement attribué à Philippe de Reffye (voir ibid., p. 259). Assez logiquement d’ailleurs, le premier cosignataire de l’article de 1976 était bien de Reffye tandis que celui de 1980 est Snoeck, façon d’exprimer lequel des deux a été à chaque fois le plus gros contributeur. Cela confirme la justesse de notre hypothèse selon laquelle, dans les publications de Café, Cacao, Thé, le premier signataire serait le contributeur principal.

1651.

[Snoeck, J. et Reffye (de), Ph., 1980], p. 259.

1652.

[Snoeck, J. et Reffye (de), Ph., 1980], p. 263.