La plante conçue comme population de méristèmes

C’est donc contre l’idée que l’on pourrait à première vue représenter la complexité d’une plante en croissance par la modélisation mathématique fonctionnelle 1757 d’un comportement moyen, et ce même en vue d’un usage particulier clairement ciblé 1758 (comme l’optimisation d’un rendement), que de Reffye décide d’adopter une approche populationnelle, probabiliste et synthétique. Comme le fait le « démographe des plantes » James White en cette même année 1979, de Reffye considère la plante au niveau des méristèmes : il la conçoit de manière décisive comme une population de méristèmes. Mais cette approche populationnelle ne se contentera pas des comportements moyens. Elle se focalisera sur les comportements individualisés des différents membres qui composent les populations. Elle se développera à l’échelle de ces individus que sont les méristèmes. Car c’est le comportement de ces méristèmes pris un à un qui seul semble pouvoir être mathématiquement modélisé selon une loi de probabilité dont la structure et les paramètres varient, il est vrai, en fonction de l’ordre de ramification. C’est à cette échelle et sur ces organes seulement que l’on retombe sur un comportement suffisamment homogène et donc susceptible d’une formalisation à la fois locale et intégrable.

En conformité avec l’approche qu’il avait déjà systématiquement mise en œuvre dans ses premiers modèles de caféiers comme dans les modèles de simulation stochastique de pollinisation de cacaoyers, de Reffye part alors explicitement du principe que l’on peut fractionner les différents aspects du phénomène global de mise en place de l’architecture de toute plante en général, de manière à les recombiner ensuite de manière très intriquée, étape par étape, dans l’infrastructure du programme informatique 1759 . Ces aspects complémentaires sont au nombre de trois : topologique (arrangement mutuel des méristèmes, des entre-nœuds et des organes), géométrique (tailles des entre-nœuds, métrique de la croissance) et mécanique (phénomènes de flambage, de verse ou de casse des tiges). Or il est à noter que l’essentiel du travail approfondi de la thèse réside dans l’analyse du premier aspect, celui qui concerne la modélisation stochastique de la topologie fine d’un arbre réel du point de vue de l’histoire particulière de ses méristèmes. Alors que cet aspect topologique du travail argumentatif et mathématique de de Reffye occupe environ 115 pages du mémoire de la thèse de 1979 sur les 130 pages qui sont au total dédiées à l’argumentation biologique et mathématique, seules 10 pages suffisent à expliciter, à la fin, l’introduction des modules de traitement de la géométrie et de la mécanique des plantes simulées. Ici nous rapporterons donc d’abord et surtout ce qui a été décisif et réellement novateur dans la formulation, la légitimation et le calibrage du modèle stochastique pour la topologie de l’architecture de toute plante. Là est l’apport principal du travail de 1979.

Ce travail sur l’aspect topologique est lui-même effectué en 3 temps : 1- de Reffye introduit d’abord un formalisme probabiliste général pour modéliser l’activité des méristèmes du point de vue de leur croissance ; 2- par la suite, il ajoute une prise en compte de la mortalité des méristèmes, phénomène qui avait été ignoré ou occulté par la plupart des modélisations antérieures de l’architecture, on s’en souvient ; 3- enfin, il met en œuvre une « théorie de la mesure de la ramification » 1760 dans laquelle une forme générale pour la loi de probabilité de ramification est proposée. Croissance, mortalité et ramification sont ainsi considérées comme les trois événements cardinaux qui peuvent à tour de rôle affecter localement la vie d’un méristème et modifier globalement la topologie de la plante.

Notes
1757.

Au sens de la « fonction » mathématique.

1758.

Ce qui serait sinon retomber encore dans le pragmatisme perspectiviste de l’épistémologie des modélisateurs français issus de la biométrie.

1759.

« Si donc on allie les processus aléatoires de croissance, les caractéristiques géométriques et mécaniques d’un arbre, rien ne s’oppose à ce qu’on puisse faire exécuter le tracé d’une projection à n’importe quel âge, des trois dimensions, aussi fidèle que possible, à l’aide d’un traceur de courbe relié à un calculateur. La connaissance des durées de vie des feuilles et de la sexualité doit aussi permettre de partitionner correctement la plante, et d’en calculer les grandes caractéristiques (nombre de nœuds fructifères, etc.) », [Reffye (de), Ph., 1979], p. 12. C’est nous qui soulignons.

1760.

[Reffye (de), Ph., 1979], p. 4.