Simulation spatiale et intégrale : le verdict du rendu visuel

La dernière étape du travail de 1979 consiste dans un premier temps à faire compléter par l’ordinateur les profils d’architecture en 2D par des symboles alphanumériques assez grossiers représentant les feuilles (deux parenthèses accolées) et les fruits (deux astérisques superposées) 1789 . Pour faire déterminer par l’ordinateur les nœuds porteurs de feuilles et/ou de fruits, de Reffye lui fait prendre en compte à chaque fois l’âge et la situation du nœud. Il réutilise en partie les règles sur les durées de vie qu’il avait déjà employées dans le modèle de 1976 alors qu’il ne prenait encore en compte que les valeurs moyennes et les groupes d’axes. De Reffye affirme alors qu’il dispose de « toute l’information nécessaire pour reconstituer entièrement le robusta étudié » 1790 .

À ce stade-là, il ne parle donc plus de modélisation, mais bien de reconstitution du caféier. Qu’entend-il par là ? En fait, il conçoit la reconstitution essentiellement à l’image d’une réplication visuelle. Ce qui nous permet d’affirmer cela est le fait qu’à partir de cette étape de la thèse, il commence à émailler systématiquement son propos de photocopies de tracés d’arbres divers effectués sur le plotter HP. Et il commente ces dessins effectués par l’ordinateur avec ce genre de phrases : « Cela est bien conforme à l’observation de la plante elle-même », « La répartition et la taille des [axes] secondaires est également satisfaisante visuellement ». La « simulation intégrale » permet donc une sorte de validation qualitative, c’est-à-dire à l’œil, et valable en ce sens à l’échelle globale. D’où la multiplication des termes qui renvoient à la vision. Le rendu visuel des premiers profils intégraux devrait déjà permettre, selon lui, une sorte de légitimation de son travail quant à sa valeur biologique. Rappelons en effet ici que la biologie donne traditionnellement un fort poids à l’observation 1791 . Nous ajouterions que c’est d’autant plus vrai de la botanique. De Reffye attend l’assentiment des botanistes. Cette interprétation se confirme lorsqu’on lit la phrase suivante : « Il convient de souligner que l’aspect visuel du caféier est bien restitué et que les experts de l’IFCC le reconnaissent comme valable. » 1792 De Reffye recourt ici à une sorte d’argument d’autorité. Mais les autorités dont il se réclame sont elles-mêmes reconnues, semble-t-il. Donc l’argument peut, selon lui, être jugé bon. En fait, il fait référence ici au savoir enfoui de l’expert. Ce savoir, non aisément formulable, se caractériserait selon lui par le fait qu’il ne peut servir de pierre de touche qu’à une échelle intégrée. Il ne pouvait donc valoir sur des modèles mathématiques locaux. L’expert serait alors celui qui a acquis une espèce de flair valable essentiellement sur le terrain, c’est-à-dire au cœur des phénomènes dans leurs manifestations intriquées, et complexes pour cela. Les experts porteraient en eux, en leur compétence inséparablement intellectuelle et pragmatique, le moyen de discriminer les bonnes simulations intégrales des mauvaises. À bien y réfléchir, cela supposerait au fond que l’expert procède, sans qu’il en ait peut-être réellement conscience, de la même manière que l’infrastructure informatique du programme général en HPL 1793 de de Reffye : une intégration de savoirs épars, une intrication de systématicités ou de cohérences locales, partielles et distribuées. Toutes choses que l’on renvoie ordinairement à un savoir de type plutôt qualitatif car faiblement résumable et donc difficilement formulable et communicable. À tirer jusqu’au bout les conséquences de ces hypothèses implicites dans le propos cité plus haut, on devrait donc conclure qu’aux yeux de de Reffye, son programme simule le sens du réel qu’a patiemment acquis l’expert au contact du terrain : en répliquant le réel, il simule la compétence de l’expert, à savoir l’expertise elle-même. Et il lui semble pour cela rompre en partie la barrière traditionnelle entre le savoir qualitatif non transférable et le savoir quantitatif seul transférable.

Notes
1789.

C’est là qu’apparaît criante la différence entre les simulations de Cohen (1967), de Honda (1971) et celle de de Reffye (1979). Cohen et Honda bénéficiaient des meilleurs écrans graphiques de leur époque. En 1979, de Reffye est encore loin de pouvoir leur faire concurrence du point de vue du rendu graphique. Et pourtant, ses simulations sont davantage fidèles à la botanique.

1790.

[Reffye (de), Ph., 1979], p. 109. C’est nous qui soulignons.

1791.

Pour ce constat, nous suivons [Keller, E. F., 2002, 2003], chapter 7.

1792.

[Reffye (de), Ph., 1979], p. 111.

1793.

Sans le savoir, il rejoint ainsi l’idée de Honda.