Du terrain de la simulation à la simulation comme terrain

Malgré des débuts donc peu prometteurs voire très alarmants, du point de vue du développement de la simulation informatique, cette période de l’histoire de la modélisation des plantes va pourtant se conclure sur une formidable reconnaissance et une considérable diffusion de ses pratiques dans de nombreux secteurs de la recherche. Née sur le terrain agronomique, la simulation va devenir en elle-même un véritable terrain d’expérimentation pour de nombreux autres domaines. Avec le retour de de Reffye en France et la création de son laboratoire propre, on peut ainsi dire à bon droit que l’on passe de « la simulation sur le terrain » au « terrain de la simulation ». La simulation devient en effet un terrain en deux sens : elle est une technique de modélisation qui devient le terrain, le lieu de jonctions et de convergences tout à fait nouvelles et privilégiées entre des approches de la plante jusque là éloignées entre elles, comme celles de l’informatique graphique, du paysagisme, de la foresterie, de la sylviculture ou de la botanique. Au cours des années 1990, nombre de ces pratiques au départ hétérogènes vont se sentir tour à tour dans l’obligation de s’appuyer opportunément sur l’approche de de Reffye : elles vont se joindre les unes aux autres sur ce lieu commun, sur ce « sens commun » du second genre, sur ce nouveau terrain commun qu’est la simulation réaliste de la plante individuelle. Cette convergence sociologique et institutionnelle est rendue possible parce que la simulation est devenue, entre-temps et plus profondément, un terrain en un autre sens : elle est le terrain d’expérimentations virtuelles. Elle est le double d’une réalité empirique complexe qu’elle peut remplacer avantageusement pour ces diverses disciplines ou pratiques qui se rendent compte, à peu près au même moment, qu’elles doivent prendre en considération la plante au niveau individuel. Certes, cette idée d’une expérimentation virtuelle peut choquer et sembler excessive. Pourtant les artisans de cette convergence et de cette consolidation de la simulation des plantes en France vont la revendiquer et lui donner une forme de crédibilité bien particulière qu’il nous faut pour cela explorer dans son établissement. Il sera donc hautement instructif pour nous de retracer les événements et les conditions institutionnelles, conceptuelles et techniques qui ont permis ce revirement, cette convergence décisive et cette consolidation assez inattendues a priori : ce sont eux seuls qui expliquent comment la simulation des plantes sort définitivement du stade des spéculations théoriques, en particulier en France, au cours des années 1990, malgré les résistances que, sous cette nouvelle forme, elle va encore rencontrer.