Ce que Françon retient de la thèse de de Reffye

C’est un choc pour Françon. Il n’en attendait pas tant. Selon lui, il y a déjà à peu près tout dans ce que propose de Reffye. C’est une véritable théorie de la croissance des plantes, de son point de vue. C’est-à-dire que de Reffye propose mieux qu’un modèle puisqu’il réplique le détail, ce qui est le propre d’une théorie, selon Françon, le modèle ne servant toujours qu’à faire des calculs approchés, d’après sa propre expérience en physique. À partir de ce moment-là, contre l’avis même du principal intéressé qui, pour sa part, pense être loin d’avoir accompli sa tâche, Françon soutiendra constamment, et avec un certain esprit polémique, l’idée que de Reffye est le « Newton du brin d’herbe » 1846 . En 1991, dans son intervention au colloque sur L’Arbre de Montpellier, après avoir rapidement présenté la première approche de la simulation des plantes au moyen de processus discret à temps discret de type L-système, voici comment il s’exprimera :

‘« L’autre approche est celle de Philippe de Reffye (1979) qui décrit la croissance d’une plante par un système de processus stochastiques associés aux phénomènes de croissance, mortalité et ramification qui affectent la vie des méristèmes. La nature et les paramètres de ces processus sont obtenus par des connaissances précises en botanique, des observations et des mesures sur le terrain. Il s’agit là de la seule modélisation informatique qui prenne véritablement en compte la réalité botanique, qui donc dépasse la modélisation pour accéder, à mon sens, au statut de théorie de nature mathématique validée expérimentalement, au sens de la physique depuis Galilée.’ ‘Ces deux approches [L-systèmes et simulation aléatoires de de Reffye] peuvent être fondues en une seule. La présentation de cette fusion est le deuxième objectif du présent travail. Je considère en effet que la théorie des systèmes de production est aux processus discrets à temps discrets ce que la théorie des équations différentielles et des équations aux dérivées partielles est à la physique classique, c’est-à-dire l’outil mathématique de base permettant de raisonner, prouver des théorèmes et calculer. » 1847

Plus loin, il insistera encore :

‘« [L’objectif de de Reffye] requiert que la modélisation soit validée dans tous ses détails par des observations et des mesures (métriques mais surtout de durées d’élongation) précises sur le terrain, ce qu’aucune autre méthode n’a fait. Cette méthodologie est celle des sciences physiques. C’est pourquoi je considère que la modélisation de Philippe de Reffye est à mettre au rang d’une théorie validée expérimentalement. » 1848

Françon écrit donc à de Reffye en Côté d’Ivoire alors qu’il est déjà en poste à Montpellier 1849 . Le courrier finit par lui parvenir mais ce dernier lui répond avec un certain retard. Finalement, après un contact par téléphone, de Reffye, intéressé, se rend très rapidement à Strasbourg. Françon lui fait valoir l’idée que l’infographie est dans l’impasse et qu’elle a besoin de son approche d’ingénieur pour faire pièce à tous les trucs que les programmeurs emploient pour faire vrai et qu’il juge de peu valeur. De son côté, de Reffye lui répond que son logiciel de visualisation n’avait pas été spécialement conçu pour faire concurrence aux solutions des infographistes mais que la simulation visuelle sert surtout à prouver, aux yeux des botanistes et agronomes, la validité du modèle informatique sous-jacent. Mais, dans ce rapprochement que lui propose Françon, il voit tout de même une forte convergence d’intérêts, même s’ils sont différents pour l’un et l’autre : accepter une collaboration serait pour lui une manière de poursuivre la modernisation et l’extension de son logiciel initial afin de voir s’il ne serait pas ainsi plus performant et donc mieux accueilli, en agronomie notamment. D’autant plus qu’entre-temps, le CIRAD a été créé et l’acronyme GERDAT va être conservé mais pour ne plus désigner qu’un département du CIRAD. Ce nom va en effet remplacer celui de « Centre Informatique » pour désigner ce département si particulier du CIRAD, par ses avantages et son lien organique directe avec la direction scientifique, et auquel de Reffye demeure rattaché : Gestion de la Recherche Documentaire et Appui Technique. C’est cette rencontre décisive qui va se concrétiser très vite : d’abord par la venue de deux doctorants en informatiques, puis par le redémarrage de la recherche en simulation architecturale et enfin par la création d’un laboratoire dédié à ces travaux au sein du CIRAD.

Notes
1846.

Voir [Françon, J. et Varenne, F., 2001]. C’est une allusion à la célèbre phrase de Kant. Voici le passage de Kant dans la traduction d’Alexis Philonenko : « Il est, en effet, bien certain, que nous ne pouvons même pas connaître suffisamment les êtres organisés et leur possibilité interne d’après de simples principes mécaniques de la nature, encore bien moins nous les expliquer ; et cela est si certain, que l’on peut dire hardiment qu’il est absurde pour les hommes de former un tel dessein ou d’espérer, qu’il surgira un jour quelque Newton qui pourrait faire comprendre ne serait-ce que la production d’un brin d’herbe d’après des lois naturelles qu’aucune intention n’a ordonnées ; il faut au contraire absolument refuser ce savoir aux hommes », Critique de la Faculté de Juger, §75, [Kant, E., 1790, 1989], pp. 214-215.

1847.

[Françon, J., 1991], p. 233.

1848.

[Françon, J., 1991], p. 242.

1849.

De fait, le premier article de 1981 fait encore paraître l’adresse de de Reffye à Abidjan…