Création de l’AMAP et valorisation du premier logiciel : une simulation en préfixé (1987)

En 1985, afin de formaliser cette activité de recherche et d’encadrer la venue d’étudiants-chercheurs, le CIRAD crée, au sein du GERDAT, le « laboratoire de modélisation des plantes ». Françon, connaissant les us et coutumes du monde de l’informatique et de l’infographie, conseille tout de suite au CIRAD de donner un nom accrocheur au laboratoire. Il pourra servir également d’emblème au produit logiciel qui devra en sortir. De Reffye propose qu’on le baptise AMAP : Atelier de Modélisation de l’Architecture des Plantes. Il craint un peu le caractère ronflant de l’acronyme médiatique et c’est lui qui temporise et insiste pour que le premier « A » ne signifie qu’« atelier » : c’est le signe d’une modestie qu’il veut voir aussi à l’œuvre dans son équipe de chercheurs. Au départ, l’AMAP n’est donc constitué que de de Reffye, René Lecoustre (qui était rentré en même temps que lui de Côte-d’Ivoire), Marc Jaeger et Evelyne Costes, une jeune botaniste effectuant son doctorat sur l’analyse architecturale et la modélisation du litchi à l’Université des Sciences et Techniques du Languedoc (USTL), à Montpellier. Cette dernière y travaille avec Francis Hallé, devenu entre-temps directeur du Laboratoire de Botanique. Elle est aux côtés du botaniste Claude Edelin qui vient de soutenir ses deux thèses à la même université sur l’architecture des conifères (thèse de 3ème cycle : 1977) puis sur l’architecture monopodiale et les formes réitérées automatiquement (thèse d’Etat : 1984). Ayant été récemment recruté à l’USTL, il peut lui aussi suivre de près le travail du GERDAT. Le rôle des botanistes de l’école de Hallé va consister d’abord à préciser et consolider les concepts de la simulation et à les étendre à de nouvelles plantes. AMAP naît donc autour d’une collaboration entre le CIRAD, l’Institut de Botanique de Montpellier, l’ULP mais aussi le Laboratoire de Recherches Informatique (CNRS) de Paris-Sud dirigé par Claude Puech. Puech sera même un des rapporteurs de la thèse de Jaeger.

Au début de leur travail commun, Philippe de Reffye et Marc Jaeger affichent le projet de continuer à privilégier avant tout le point de vue de l’arbre unique, indépendamment de son environnement et de sa physiologie. Ils renoncent pour cela à l’emploi des grammaires génératives de type L- Systèmes. En effet, les fonctions concrètes, proches des mesures de terrain, n’y sont pas adaptées 1850  : « une plante se développe par ajouts successifs et irréversibles d’éléments et non pas par des substitutions d’éléments quels qu’ils soient » 1851 . L’objectif essentiellement botanique de la simulation est là encore prioritaire. De plus, ils font le choix de conserver l’expression probabiliste du fonctionnement des méristèmes, telle qu’elle fut initialement développée par de Reffye. Car ils veulent continuer à tirer parti au maximum des observations sur le terrain : observer une population d’arbres de même espèce informe sur les distributions de ses lois de probabilité. Ainsi la variabilité pour un individu peut-elle être estimée et restituée quantitativement par simulation. Il ne suffit pas d’observer la croissance et l’architecture d’un individu pour pouvoir chiffrer ses lois probabilistes de croissance. La simulation d’un individu ne signifie donc pas qu’on a mesuré les caractéristiques d’un seul individu pour les restituer ensuite. L’ajustement de ses paramètres résume à lui seul un très grand nombre d’observations sur le terrain. Ce fait important découle de l’approche dynamique et botanique de l’architecture des arbres.

Mais le manque de précision des concepts botaniques de haut niveau (réitération, axe, unité de croissance…) interdit encore son utilisation. C’est donc au titre de méthode constructive, bottom-up ou « de bas en haut », que l’approche procédurale, au sens informatique du terme (procédural = programmable par ordinateur au moyen d’une série d’actions définies par des procédures élémentaires), est choisie au détriment d’une approche dite « conceptuelle » (fondée sur des classes d’objets hiérarchiquement ordonnées). Cette approche procédurale informatique reprend la construction de la plante à partir de la modélisation stochastique, donc par le détail. Le végétal se construit à partir de la définition de l’activité élémentaire des méristèmes. L’intérêt de cette remarque de de Reffye et Jaeger réside dans le fait que si l’on veut simuler par ordinateur, il faut tôt ou tard pouvoir quantifier, ramener au calcul les rapports entres les entités simulées. Or, même la classification précise mais de haut niveau et donc qualitative ou « conceptuelle » de Hallé et Oldeman n’y suffit pas. C’est pourquoi il a bien fallu pallier ce manque de précision chiffrée par l’introduction de lois essentiellement « souples » telles que le sont les lois probabilistes.

Cette nouvelle justification, avec sa nouvelle terminologie, est pour nous intéressante car elle manifeste la volonté de Jaeger et Françon de traduire dans des concepts informatiques usuels (« programmation procédurale » versus « programmation conceptuelle ») le sens de l’approche bottom-up de de Reffye qui, au départ, avait une nécessité agronomique. Ce que Jaeger veut dire, c’est qu’il serait vain que l’informaticien cherche ici tout de suite des classes d’objets et qu’il s’acharne à vouloir définir les objets à simuler de haut en bas, par propriétés, comme cela peut se faire déjà dans le langage C. Cela correspondrait sinon, de son point de vue, à quelque chose comme l’approche qualitative par les modèles architecturaux de Hallé et Oldeman dont de Reffye a montré qu’elle ne pouvait donner lieu à une immédiate quantification.

Notes
1850.

[Jaeger, M., 1987], p. 46.

1851.

[Jaeger, M., 1987], p. 4. À ce sujet, l’équipe de de Reffye a coutume de dire que la tige d’une plante pousse un peu « comme le dentifrice sort de son tube quand on le presse » : lors d’une ramification, les entre-nœuds ne sont pas remplacés par d’autres qui seraient ramifiés. L’image d’une substitution ou d’une réécriture telle qu’elle intervient dans les L-systèmes est donc trompeuse d’une point de vue botanique. Les L-systèmes restent un modèle valant pour une approche figurative.