La validation de la simulation dans son ensemble

Après l’exposé des choix techniques, il convient de valider une simulation, c’est-à-dire de montrer qu’elle est réaliste pour les applications que l’on envisage. Les travaux scientifiques se distinguent aussi dans leur façon de valider les modèles. Quel est le choix de l’AMAP à ce sujet et pour quelles raisons ? La méthode de validation qui semble satisfaire l’équipe de l’AMAP revient à faire simuler un grand nombre de modèles architecturaux différents et à montrer les images qui en résultent. Blaise s’exprime ainsi :

‘«Enfin toutes les images présentées dans ce chapitre [‘Résultats’] seront autant de prétextes pour démontrer la compatibilité des plantes simulées et de la chaîne graphique du logiciel AMAP et la qualité de cette dernière. » 1926

C’est une démonstration qui repose ainsi sur le caractère réaliste de certaines images de plantes. Blaise s’autorise à parler là aussi d’« expérimentations » pour désigner cette validation par le réalisme du résultat final. Mais il faut prendre garde à ne plus prendre ici le mot « réalisme » seulement au sens de ressemblance ponctuelle d’images fixes avec une réalité instantanée. Sinon on aurait affaire à ce que Françon et ses élèves appellent de simples « images figuratives ». C’est en fait tout le rendu du dynamisme de la plante, sa croissance, ses collisions, ses stratégies adaptatives lors de la présence d’obstacles, son histoire, qui font l’objet d’une évaluation par le réalisme. Ce logiciel s’astreint à donner une dynamique de croissance réaliste et pas seulement des instantanés. C’est donc le moteur de croissance lui-même qui peut être ainsi évalué et non telle ou telle image de plante.

Mais ne pourrait-on pas évaluer quantitativement la simulation ? En effet, la simulation est bien toujours de nature numérique. Elle manipule des nombres. Ainsi elle découvre et utilise des paramètres pour restituer la réalité. Une solution plus satisfaisante pour valider la simulation serait donc de retrouver dans la réalité le sens botanique de tous ces paramètres qu’il a fallu introduire et quantifier, par ajustement aux données expérimentales. Blaise a conscience de cette objection et écrit :

‘« Précisons toutefois que les valeurs choisies pour les différents paramètres caractérisant le comportement de la plante dans ces conditions de gêne ou d’ombrage ne sont que des valeurs expérimentales, et n’ont aucune réalité botanique ou agronomique. Ces paramètres n’ont, en effet, fait l’objet d’aucune mesure sur le terrain. Il en sera de même pour toutes les expérimentations abordées dans ce chapitre [chapitre dernier : Résultats]. » 1927

Plus loin, il confirme :

‘« Que ce soit pour le traitement de la gêne ou de l’ombrage, un certain nombre de paramètres ont été introduits pour permettre de quantifier ces phénomènes. Il est pour l’instant évident que leur définition et la valeur qui leur est attribuée ne sont vérifiées par aucune loi botanique ou agronomique. » 1928

Autrement dit, des paramètres ont été introduits dont la signification botanique demeure problématique. À leur sujet, on peut dire qu’ils sont expérimentaux bien qu’ils n’aient « fait l’objet d’aucune mesure sur le terrain ». Qu’est-ce que cela signifie ? Comment n’est-ce pas contradictoire ? Comprenons qu’ils sont expérimentaux dans la mesure où ils proviennent des mesures statistiques de terrain. Le logiciel d’ajustement des histogrammes les a en quelque sorte « extraits » ou déduits des seuls données mesurées. Ils n’étaient donc imposés par aucune réflexion théorique a priori, excepté par les types de lois dans lesquels on voulait qu’ils interviennent. Pour autant, ils n’ont fait l’objet d’aucune mesure directe et leur valeur est calculée pour les besoins de la simulation. C’est pourquoi les paramètres de gêne et d’ombrage n’ont pas nécessairement un sens botanique. Les éléments servant à construire une simulation botaniquement réaliste n’ont donc pas nécessairement un sens botanique a priori. Rappelons que cette condition devait en revanche toujours valoir pour toute modélisation, selon l’épistémologie des modèles de Legay et de son école. Blaise avait déjà précisé cette limite de son modèle de la façon suivante : « nous n’avons à aucun moment l’intention de simuler l’influence du taux de lumière sur la production photosynthétique » 1929 . Ce serait en effet oublier l’objectif prioritaire de ces simulations : rendre la croissance architecturale des plantes dans son réalisme. Ce serait courir le risque de produire un mauvais modèle faute d’avoir assez distingué les échelles des processus à simuler et faute d’avoir choisi des échelles de simulation réellement compatibles entre elles 1930 .

Néanmoins, l’usage de l’incise « pour l’instant », dans la deuxième citation, paraît confirmer un point de vue propre à l’équipe de l’AMAP sur les conséquences d’une bonne simulation. Elle signale qu’il n’est pas illusoire de croire que ces paramètres, d’abord artificiellement ou fictivement introduits, pourraient prendre plus tard une place naturelle (parce que déduite d’hypothèses sur la nature des phénomènes biologiques 1931 ) dans une théorie botanique plus large. Non seulement, comme on l’a vu, une simulation réaliste aurait pour effet de clarifier et de préciser les concepts botaniques, mais elle pourrait soutenir, dans certains cas, l’invention scientifique (rôle heuristique). En l’espèce, elle pourrait inciter les théoriciens à identifier des lois ou des paramètres caractéristiques, propres à figurer dans une représentation théorique. Ainsi, perce à nouveau l’idée qu’un modèle empirique très fidèle à la réalité peut devenir une aide suggestive pour l’explication scientifique. De Reffye retrouve ainsi Legay mais par des chemins indirects.

Notes
1926.

[Blaise, F., 1991], p. 153 ; c’est nous qui soulignons. Il avait déjà précisé dans le premier chapitre, p. 10 : « l’image de synthèse est un moyen puissant de rendre compte de résultats de simulations, concrets, palpables ou plus abstraits, sous des formes diverses, souvent remarquables par leur technique et toujours démonstratifs par leur présentation ».

1927.

[Blaise, F., 1991], p. 153.

1928.

[Blaise, F., 1991], p. 176.

1929.

[Blaise, F., 1991], p. 112.

1930.

Sur les problèmes d’échelles dans la simulation, voir notamment [Legay, J.-M., 1997], passim et [Coquillard, P. et Hill, D., 1997], p. 135.

1931.

Cela rappelle évidemment les remarques que de Reffye faisait, dès 1975, sur le sens biologique des lois de probabilité qu’il introduisait au titre de caractères génétiques.