Des retombées conceptuelles en botanique

Entre-temps, de Reffye et Jaeger continuent à populariser leur premier travail et publient un article dans La Recherche : « La modélisation de la croissance des plantes » 1936 . Pierre Dinouard, diplômé de l’ENSICA (Toulouse), est recruté en 1989 comme ingénieur de recherche à l’AMAP. Il travaille spécifiquement sur la mise au point du logiciel initial de Marc Jaeger et donc sur un perfectionnement de la première jonction avec l’image de synthèse.

Il faut aussi noter que lors de la préparation de la thèse de Blaise, de Reffye a été incité à améliorer encore les distinctions entre les concepts botaniques. De cette époque date sa proposition de réemployer un vieux concept, proposé en 1965 par son ancien professeur de l’ENSAT, P. Rivals : l’âge physiologique du méristème. Dit de façon simplifiée, les probabilités des différentes activités du méristème dépendent en effet de sa situation dans la topologie de l’arbre (de son ordre) : il a moins de vigueur si son ordre est élevé. Donc on peut considérer qu’il naît avec un certain âge, son âge physiologique 1937 . De Reffye revient progressivement à cette idée car il dispose des réflexions d’un jeune ingénieur de recherche, docteur en statistiques, qui vient d’être recruté à l’AMAP : Eric Elguero. Derrière le fonctionnement des méristèmes, Elguero 1938 reconnaît tout de suite un type particulier de processus ponctuel : un processus de Poisson que l’on peut formuler comme un processus de renouvellement 1939 . Comme le rapprochement avec ce genre de processus permet d’unifier les différents processus de Poisson sous une même formulation, la notion d’âge physiologique est donc réintroduite en 1991. Cet événement pour la botanique intervient un peu après que la notion d’« axe de référence » ait été également proposée par de Reffye et le botaniste Daniel Barthélémy à partir d’un travail de simulation architecturale de l’orme du Japon 1940 .

Barthélémy avait entre-temps soutenu sa thèse de botanique 1941 à l’USTL, sous la direction de Francis Hallé, en 1988. Il avait proposé la notion de « floraison automatique » pour expliquer la sexualité de quelques plantes tropicales 1942 . En partie inspiré par l’idée antérieure de floraison automatique, l’« axe de référence » se présente comme un construit théorique « basé sur le regroupement et le classement de toutes les étapes de différenciation d’un arbre » 1943 . Ces étapes de différenciation sont elles-mêmes fondées sur la notion d’âge physiologique et le nouveau formalisme qui lui est rattaché. L’axe de référence traduit en fait l’évolution de cet âge le long d’un axe théorique. C’est un automate qui traduit le changement de fonctionnement des méristèmes. De par son caractère automatique, récursif et général, il peut donc servir à simplifier considérablement le moteur de croissance 1944 en donnant l’impression d’une grande unité (de type informatique) au-delà de la diversité des modèles architecturaux.

Notes
1936.

[Reffye (de), Ph., et Jaeger, M., 1989].

1937.

Voir [Reffye (de), Ph., Elguero, E. et Costes, E., 1991], p. 339.

1938.

Elguero ne se plaira pas à l’AMAP et il poursuivra sa carrière comme ingénieur de recherche à l’IRD (ex-ORSTOM) où il travaillera sur des modèles épidémiologiques.

1939.

Le processus de Poisson repose sur la notion intuitive de hasard déstructuré. Cela revient à faire deux hypothèses : 1- les événements ont un taux constant d’occurrence (stationnarité ou homogénéité dans le temps), 2- les nombres d’événements intervenant pendant deux périodes de temps disjointes sont indépendants. Un processus de Poisson peut alors être exprimé selon le formalisme des processus de renouvellement. Ce processus de renouvellement exprime la loi qui régit l’intervalle de temps qui sépare deux événements consécutifs. Dans un processus de Poisson exprimé ainsi, les temps inter-occurrence sont distribués exponentiellement. Pour cette présentation simplifiée, nous nous sommes aidé de [Reffye (de), Ph., Elguero, E. et Costes, E., 1991], p. 335. La théorie des processus ponctuels (processus régissant des « événements ponctuels qui se produisent d’une manière aléatoire dans l’espace ou dans le temps », [Cox, D. R. et Lewis, P. A. W., 1966, 1968], p. 1) est un chapitre difficile de l’analyse statistique et de l’estimation. Il s’est développé dans les années 1960, notamment sous l’impulsion des travaux de D. R. Cox du Birbeck College de l’Université de Londres. Une des premières applications a été l’analyse de la survenue des pannes de machine.

1940.

Voir [Blaise, F., 1991], p. 54.

1941.

En fait sa spécialité est « Physiologie, biologie des organismes et des populations ».

1942.

Voir le résumé de [Barthélémy, D., 1988], p. 3 : « Au cours des différentes étapes qui jalonnent la vie d’une plante, la répartition des inflorescences est très précise. La floraison n’intervient qu’après l’acquisition par la plante d’un certain seuil de différenciation. Par la suite, la floraison devient plus abondante, et tend à occuper un nombre de sites croissant avec le développement de l’organisme. Cet envahissement par la floraison traduit une évolution commune à toutes les espèces étudiées. Partant de cette approche architecturale des plantes tropicales, la floraison est interprétée comme une étape du mouvement morphogénétique parcouru par la plante de la germination à la mort, et le concept de floraison automatique est proposé. »

1943.

[Reffye (de), Ph., Dinouard, P. et Barthélémy, 1991], p. 251.

1944.

[Reffye (de), Ph., Dinouard, P. et Barthélémy, 1991], p. 262.