Le rôle de l’AMAP dans les projets retenus

Les membre du comité de pilotage de l’AIP partent ainsi du principe que c’est la méthode développée par l’AMAP qui permettra précisément de « relier les aspects biologiques (botaniques), métrologiques (mesure et description des plantes), mathématiques (estimation des paramètres, théorie du renouvellement) et informatiques » 1970 . Ils attendent ainsi de faire bénéficier la recherche en modélisation forestière de trois apports positifs qu’ils décrivent de la sorte :

‘«  - une discipline descriptive essentielle pour savoir de quoi on parle,’ ‘- une méthode d’observation, de mesure et d’organisation des données,’ ‘- un langage commun et parfaitement défini. » 1971

Autrement dit, c’est aussi une méthodologie au sens large qu’ils attendent des développements de la simulation. Ils attendent d’investir par là un terrain d’entente minimale entre disciplines de la foresterie. Il s’agit bien d’un terrain de convergence au sens fort. La simulation architecturale semble appelée à devenir un outil standard de communication entre chercheurs, au même titre que les mathématiques en physique, bien qu’elle ne soit pas de même nature. Le rôle prévalent de l’architecture est encore reconnu par Jean Bouchon et Françoise Dosba de l’INRA de Bordeaux, dans leur conclusion des actes du colloque : « L’architecture est à l’analyse de la croissance et du développement des arbres ce que la botanique est à l’écologie. » 1972

Cependant ce rapprochement n’est pas sans poser des problèmes. D’une part, la forme que prend cette collaboration peut sembler étonnamment directive par rapport à d’autres types d’échanges scientifiques. La désignation elle-même est révélatrice : « Action d’Intervention sur Programme ». En choisissant un tel statut pour cette collaboration, la direction de l’INRA semble plus ou moins adroitement signaler qu’il y a une certaine urgence (« intervention ») à rattraper un retard. Il est révélateur que, dans le cadre d’une deuxième AIP (ouverte de 1996 à 1998) entre l’unité CIRAD/INRA et l’unité PIAF de bioclimatologie (PIAF = Physiologie Intégrée de l’Arbre Fruitier) de Clermont-Ferrand, ce même acronyme finisse par recouvrir les mots : « Action Incitative Programmée » 1973 où la directivité n’est plus du tout allusive. On comprend que cela ait pu choquer certains des membres participants. D’autre part, sur le fond, l’enjeu de cette AIP paraît délicat. Comme nous l’avons vu, il est en effet admis par le comité de pilotage que les chercheurs auront à se plier aux méthodes d’approche de leurs collègues du CIRAD. Ce n’est donc pas vraiment d’une collaboration qu’il s’agit mais plutôt d’une instruction de certains chercheurs par d’autres. Les susceptibilités ne sont pas ménagées en cette occasion. Le comité de pilotage se voit donc obligé, et c’est assez rare pour qu’on le note, de défendre sa position avec un argumentaire fourni et rigoureux. Les amertumes sont telles que les éditions de l’INRA ont publié le détail de ces mises au point, au début des actes du Colloque de synthèse des 23-25 novembre 1993. Ces actes sont ainsi pourvus de deux introductions : un argumentaire en règle qui pose et résout le problème de façon diplomatique, un historique qui s’attache à montrer qu’il n’y pas d’alternative pour les dendrométriciens. Ces textes sont à l’initiative de deux chercheurs qui n’appartiennent pas au CIRAD : Jean Bouchon, qui est alors directeur de recherche à l’INRA de Nancy, membre du comité de pilotage de l’AIP et François Houllier, responsable de l’Equipe de Dynamique des Systèmes Forestiers de l’ENGREF (Nancy), associée à l’INRA. Ces deux dendrométriciens d’origine s’attachent à montrer à leurs collègues le bien-fondé d’une démarche où il semble qu’on leur force la main.

Il faut noter que c’est à cette occasion que les scientifiques qui sont responsables de la politique de recherche se sentent obligés de recourir à l’histoire de leur domaine. Pourquoi l’histoire des sciences fait-elle irruption dans le travail scientifique lui-même ? Il apparaît bien, selon Bouchon et Houllier, que l’écriture de l’histoire des sciences par les scientifiques eux-mêmes aurait une vertu scientifique : celle de relativiser la valeur des modèles du moment, modèles auxquels on risque toujours trop de s’attacher pour des raisons autres que purement scientifiques 1974 . Elle aurait aussi la vertu de donner des perspectives plus amples, des vues d’ensemble plus objectives sur l’accroissement des connaissances du domaine considéré. Elle aurait enfin la vertu de démontrer, au vu du chemin quasiment logique déjà parcouru, que l’étape supplémentaire proposée constituerait l’avancée la plus « rationnelle ». C’est essentiellement le cas ici. Il nous faut donc bien rester prudent sur la valeur de cette écriture de l’histoire des sciences : elle reste orientée vers un objectif précis, dans le cadre d’une rationalisation a posteriori.

Notes
1970.

[Bouchon, J., 1995], p. 7.

1971.

Voir la postface de Jean Bouchon et Françoise Dosba [Bouchon, J., 1995], p. 349.

1972.

[Bouchon, J., 1995], p. 349.

1973.

Dans la page internet « les architectes du végétal » de l’INRA : [INRA, architecte, 1998], p.1.

1974.

Une façon pour le scientifique de faire son deuil d’une pratique jusque là quotidienne…