université lumière – lyon 2
École Doctorale de Sciences Humaines et Sociales
Thèse de Doctorat
en Sciences Économiques
(Analyse et Histoire Économiques des Institutions et des Organisations)
L’entrepreneur dans la tradition autrichienne
Un essai sur l’émergence et l’évolution d’une théorie de l’activité entrepreneuriale
le 10 mai 2004

Remerciements

Je tiens à remercier Jean-Pierre Potier pour avoir accepté la direction de cette thèse, m’avoir soutenu et conseillé. Sa sagesse, son expérience et sa patience m’ont en effet permis de poursuivre mes recherches et d’évoluer tout au long de l’élaboration de cette thèse.

Le centre Auguste et Léon Walras m’a très parfaitement accueilli et soutenu tout au long de ces cinq années. De nombreuses personnes au sein de l’équipe de traduction des Essais de Karl Polanyi (M. Cangiani, J. Maucourant éditeurs, à paraître au Seuil en 2005) m’ont aidées pour préciser la signification d’un certain nombre de concepts. Je dois remercier tout particulièrement Yuri Biondi, Olivier Brette, Laurence Collaud, Victor Vieira Da Silva ; enfin, Jérôme Maucourant pour ses conseils avisés, ses relectures et les encouragements prodigués.

Cyrille Ferraton, David Gindis, Clément Levallois ont lu et critiqués les différents textes antérieurs qui m’ont permis de corriger et d’améliorer de nombreux points.

Anne Deshors, Anne-Laure Vivel ont prêté leur concours afin d’améliorer la forme de cette thèse.

Ce travail n’aurait pas vu le jour sans le soutien indéfectible de ma famille qui m’a offert la possibilité de travailler dans des conditions enviables et m’a supportée tout au long de ce travail. Que soient remerciées ma sœur et ma mère pour leur joie de vivre et leur soutien dans les moments les plus difficiles.

Ces quelques mots de reconnaissance pour tous ceux qui m’ont écouté et aidé tout au long de ces années. Je veux leur rendre hommage, qu’ils sachent qu’il m’est dommage de ne pouvoir le faire par la voix.

Résumé :

Cherchant à situer la tradition autrichienne par rapport au programme de recherches de l’économie dominante, les commentateurs soulignent que la spécificité de la tradition autrichienne se fonde sur l’importance accordée à l’activité entrepreneuriale. M. Blaug (1998), M. Casson (1982b), R. Hébert et A. Link (1982) ou encore, dans une perspective différente, D. Harper (1996) ont affirmé que l’entrepreneur a disparu de la théorie économique dominante à la fin du xix ème siècle, à « quelques rares exceptions près » 1 . L’économie dominante s’intéresse alors davantage aux phénomènes d’équilibre et de production, ne laissant au mieux qu’un rôle marginal aux agents du changement 2 . Malgré tout, durant toute cette période de « traversée du désert » pour l’analyse de l’activité entrepreneuriale, la tradition autrichienne 3 s’était sérieusement penchée sur le sujet. Ainsi que le note M. Rizzo (2002, pp. 8-9), l’évolution contemporaine de la tradition autrichienne a été marquée par le développement de la théorie de l’activité entrepreneuriale de Kirzner. Aucune mention n’est cependant faite concernant la manière dont le thème de l’entrepreneur est apparu et s’est développé au sein de cette tradition. Aussi, notre approche se propose de souligner la manière dont la tradition autrichienne traite de l’entrepreneur.

Trois générations sont distinguées : les fondateurs (C. Menger, E. von Böhm-Bawerk et F. von Wieser), J. A. Schumpeter et les néo-autrichiens (F. A. Hayek et L. von Mises) et enfin, la tradition autrichienne contemporaine (I. M. Kirzner, L. Lachmann). Chaque génération apporte une pierre à l’édifice d’une théorie de l’activité entrepreneuriale. La vision de C. Menger, E. von Böhm-Bawerk et F. von Wieser met l’accent sur la dimension sociologique, historique et économique de l’activité entrepreneuriale alors que leurs successeurs tendent à se concentrer sur la seule dimension économique. L. von Mises et F. A. Hayek placent l’activité entrepreneuriale au cœur de leur représentation du processus de marché permettant à la tradition contemporaine de développer sur cette base une typologie des différents types d’activités exercées par l’entrepreneur.

Toutefois, l’interprétation de chacune vis-à-vis des générations précédentes peut différer. Nous montrerons ainsi que la lecture de l’œuvre de Menger et de Wieser faite aujourd’hui par la tradition autrichienne est directement influencée par la vision des « néo-autrichiens » et s’éloigne ainsi d’autant des écrits originaux des fondateurs de la tradition 4 . Si toute lecture est toujours une interprétation au travers d’un prisme particulier, nous souhaitons montrer que la tradition autrichienne contemporaine n’a pas conscience d’avoir pris certaines libertés vis-à-vis des écrits des économistes fondateurs de la tradition autrichienne. Autrement dit, nous montrerons que l’analyse de l’activité entrepreneuriale pourrait encore être poussée plus avant en reconnaissant l’importance de la dimension sociologique et historique de celle-ci. Nous ne nions pas toutefois l’apport essentiel des « néo-autrichiens » à l’analyse de l’activité entrepreneuriale, ni celui de la tradition autrichienne contemporaine qui a produit une véritable théorie de l’activité entrepreneuriale.

Finalement, notre lecture de l’apport de la tradition autrichienne à l’analyse de l’activité entrepreneuriale est essentiellement critique. Nous ne nous contentons pas de critiquer les auteurs de la tradition autrichienne en nous fondant sur les seuls arguments développés par les différents auteurs qui composent cette tradition. Nous nous appuyons en effet sur les travaux et les critiques d’économistes contemporains des différents auteurs pour mettre en évidence un certain nombre de limites à leur analyse de l’activité entrepreneuriale, ce qui nous amènera à une lecture « synchronique de type structural » 5 au sens de P. Dockès et J. M. Servet (1992, p. 352).

Notre travail se décompose en trois grandes parties, chacune d’elles renvoyant à une génération particulière de la tradition autrichienne selon le découpage que nous avons explicité plus haut. Chaque partie se découpe en deux chapitres.

La première partie de ce travail est ainsi consacrée à l’émergence d’un intérêt pour l’activité entrepreneuriale chez les fondateurs de la tradition autrichienne. Nous examinons ainsi dans un premier chapitre l’apport de Menger à l’analyse de la nature et du rôle de l’entrepreneur. Menger en effet ne parle pas explicitement de fonction économique, mais présente différents « agents du processus de production ». Il ébauche même quelques pistes concernant la manière dont le rôle de l’activité entrepreneuriale a évolué avec le développement du capitalisme, reconnaissant par-là la possibilité que l’action de l’entrepreneur ne soit pas spécifique au système de l’échange marchand.

Une approche similaire est présentée par Wieser dans la mesure où celui-ci met l’accent sur les différentes formes entrepreneuriales rencontrées dans l’histoire du capitalisme. Pour Wieser, l’entrepreneur est le « chef [führer] » économique au même titre que le chef militaire celui de l’armée. Cette idée selon laquelle l’exercice de l’action entrepreneuriale est étroitement lié au pouvoir est d’ailleurs présente chez Böhm-Bawerk pour qui pourtant l’activité entrepreneuriale est attachée à la possession du capital. Wieser met ainsi davantage l’accent sur la spécificité de l’activité entrepreneuriale et propose une approche « sociologique » de l’activité entrepreneuriale au travers de sa typologie des formes entrepreneuriales.

Cette vision originale des fondateurs de la tradition autrichienne sera développée par Schumpeter. Nous verrons en effet dans le premier chapitre de la seconde partie que Schumpeter reste fidèle à l’esprit initié par les fondateurs de la tradition autrichienne en ce qui concerne la nature et le rôle de l’activité entrepreneuriale, alors même qu’il s’inspire de L. Walras pour définir sa propre théorie du fonctionnement de l’économie. Schumpeter parvient ainsi à conserver l’idée selon laquelle la fonction entrepreneuriale est liée à l’exercice du « pouvoir de direction [leadership] », ce qui lui permet de présenter une analyse des types d’entrepreneurs qui se seraient historiquement succédés, mais aussi de considérer la possibilité de l’existence d’une fonction entrepreneuriale au sein d’une économie socialiste.

Alors que Schumpeter suit la perspective des fondateurs, les « néo-autrichiens » Mises et Hayek proposent ainsi une conception du marché non plus comme un état des choses mais comme un processus. En ce sens, ils se détachent des enseignements des fondateurs de la tradition et se consacrent désormais uniquement à l’étude du fonctionnement de l’économie de marché. Ils négligent ainsi l’aspect sociologique et historique de l’activité entrepreneuriale ébauchée par leurs prédécesseurs.

Enfin, la troisième partie de notre travail met l’accent sur la théorie de l’activité entrepreneuriale présentée par les économistes de la tradition autrichienne contemporaine. Nous montrerons que Kirzner ne parvient pas à prendre en compte toute la complexité de l’activité entrepreneuriale du fait qu’il tente de fonder une voie médiane entre l’approche dominante centrée sur l’équilibre et l’approche « subjectiviste radicale » de Lachmann qui affirme qu’il est impossible de déterminer l’issue des processus de marché.

Parallèlement, Lachmann souligne la pluralité des processus de marché et des formes prises par l’activité entrepreneuriale et met l’accent sur la nature créatrice de l’activité entrepreneuriale, renouant ainsi avec la définition schumpetérienne de l’activité entrepreneuriale. Plus encore, l’approche de Lachmann parce qu’elle admet la possibilité que l’activité entrepreneuriale puisse se développer de manières différentes selon le contexte institutionnel considéré, renoue avec l’idée présente chez les fondateurs de la tradition autrichienne selon laquelle l’activité entrepreneuriale comprend des aspects non strictement marchands.

Epigraphe

« Avec l’audace, on peut tout entreprendre, on ne peut pas tout faire »
Napoléon Bonaparte

Notes
1.

Il nous paraît nécessaire de préciser que ces « exceptions » constituent cependant des apports fondamentaux dans l’histoire de l’analyse de l’activité entrepreneuriale. Dans cette perspective, il semble que ces commentateurs laissent peut-être un peu vite de côté l’apport au sein de l’économie dominante d’auteurs tels que L. Walras, V. Pareto ou A. Marshall mais aussi plus tard de F. Knight.

2.

H. Barreto (1989, pp. 47-68) souligne ainsi que la théorie microéconomique, alors qu’elle s’intéressait initialement au rôle de l’entrepreneur, laisse peu à peu ce sujet tomber dans l’oubli à partir des années 1930. Pour une analyse de la manière dont évolue l’analyse entrepreneuriale au sein de la théorie microéconomique, le lecteur se reportera à l’ouvrage de H. Barreto (1989) dans lequel celui-ci examine par exemple l’apport de L. Walras, F. Edgeworth, A. Marshall et, dans une autre perspective, M. Dobb.

3.
4.

Nous verrons ainsi qu’avec Hayek la seconde édition des Grundsätze der Volkswirtschaftslehre de Menger n’est que rarement évoquée. Plus encore, la traduction anglaise de la première édition de cet ouvrage ne permet pas de rendre compte de l’essence de la pensée de Menger. Nous renvoyons le lecteur à la première partie de ce travail pour plus de détails.

5.

P. Dockès et J.M. Servet (1992, p. 352) qualifient de lecture « synchronique de type structural » une lecture qui « privilégie la relation entre les textes contemporains ».