1.1.2. Pouvoir et économie

Dans un de ses derniers écrits,« Macht oder ökonomisches Gesezt ? » 142 , Böhm-Bawerk se penche sur la question du pouvoir des syndicats, plus particulièrement celui d’accroître les salaires au-dessus du niveau déterminé par les « lois (économiques) des prix [economic laws of price] », (1914b, p. 154 par exemple). Il reconnaît la double influence des lois économiques et des forces sociales sur la distribution des revenus. Selon Böhm-Bawerk, si les forces sociales peuvent utiliser leur pouvoir pour modifier leur situation, les lois économiques retrouveront tôt ou tard tout leur poids en l’absence de variation de la productivité marginale. Autrement dit, selon le vocabulaire aujourd’hui usité : toutes choses égales par ailleurs, le mécanisme de contrôle social n’a pas d’action à long terme, même s’il peut temporairement exercer une influence sur le mécanisme de distribution. Les ordres du pouvoir [dictates of power] qu’ils émanent d’une organisation syndicale, d’un monopole ou du gouvernement interfèrent dans l’application des lois économiques de la valeur, des prix et de la distribution. Cependant, ils ne font que retarder cette application puisque : ‘« ils ne peuvent jamais opérer en contradiction avec les lois économiques (…) ; ils doivent toujours être en conformité avec eux ; ils peuvent simplement les confirmer et les exécuter’ ‘ 143 ’ ‘ »’ (Böhm-Bawerk 1914b, p. 194). Finalement, pour Böhm-Bawerk, le libre jeu des lois économiques, en particulier le libre jeu de la concurrence, est souverain. Il semble d’autant plus étonnant dès lors que Böhm-Bawerk ait pu participer à un gouvernement dont l’objectif du programme était de développer l’industrialisation autrichienne au moyen d’un ambitieux projet d’extension des voies de communication.

En ce sens, et bien que Böhm-Bawerk considère que l’épargne privé ne soit pas le seul moyen d’accumuler du capital, l’examen de la politique qu’il mena lors de son dernier passage au ministère des finances semble confirmer cette idée. En effet, selon Böhm-Bawerk (1909, pp. 478-479), l’essentiel est de réaliser l’équilibre entre épargne et investissement : tout investissement nécessite une épargne préalable dont le montant, compte tenu de l’incertitude inhérente au déroulement futur de l’activité économique, doit être décidé en fonction des habitudes existantes. Cet équilibre doit être obtenu dans de bonnes conditions, c’est-à-dire en l’absence de toute interférence de l’État. Nous nous attacherons dans la sous section suivante à mettre en parallèle l’attitude de Böhm-Bawerk au sein du cabinet E. Koerber avec sa conception de l’activité capitaliste, ce qui nous permettra de souligner quel est le rôle qui est dévolu selon lui à l’activité entrepreneuriale.

Notes
142.

 Böhm-Bawerk, Eugen von, (1914a) «Macht oder ökonomisches Gesezt ? », Zeitschrift für Volkswirtschaft, Sozialpolitik und Verwaltung, Vol. 23, pp. 205-271, repris et traduit en anglais sous le titre Control or Economic Law dans Böhm-Bawerk (1962, pp. 139-199). Notre propre analyse reposant sur la seule traduction anglaise, nous souhaitons attirer l’attention du lecteur sur les problèmes d’interprétation que pose cette traduction. Il nous faut en effet préciser que le titre de l’article dont il est question ici devrait être traduit par « Pouvoir ou loi économique » et non « contrôle ou loi économique ». Une telle interprétation jette ainsi le doute sur la traduction anglaise.

143.

Phrase soulignée par l’auteur.