Partie 2. Constitution d’une théorie de l’activité entrepreneuriale « autrichienne » : l’apport de Schumpeter et des néo-autrichiens

Introduction

L’objet de cette seconde partie est d’étudier l’apport des économistes de la seconde génération de la tradition autrichienne. Nous nous intéresserons ainsi à la manière dont Schumpeter, Mises et Hayek fournissent les outils d’une théorie de l’activité entrepreneuriale ; ces outils seront ensuite repris et utilisés par les économistes contemporains de la « tradition autrichienne » pour construire leur théorie de l’activité entrepreneuriale.

Le débat sur la possibilité de réaliser un calcul économique rationnel au sein d’un régime fondé sur la propriété collective des moyens de production constitue le point d’inflexion de l’analyse. Nous montrerons qu’il a permis en effet aux économistes « néo-autrichiens » de prendre conscience de leur propre spécificité par rapport à l’analyse microéconomique dominante de l’époque.

Ainsi, Mises apporte une première contribution concernant la nature de l’activité des entrepreneurs et leur rôle sur le marché. L’organisation commerciale qui caractérise le fonctionnement de l’économie de marché repose sur l’« initiative » et l’« ambition » des entrepreneurs qui cherchent à retirer pour eux-mêmes un profit. Mises développe par la suite une théorie de l’action humaine où il met en évidence le rôle spécifique de l’entrepreneur par rapport au capitaliste ou au directeur. L’activité entrepreneuriale est ainsi décrite comme fondamentalement liée à l’incertitude qui entoure toute action humaine : l’entrepreneur spécule sur le futur.

Parallèlement, Hayek considère que le problème auquel est confrontée toute planification est avant tout un problème de diffusion de la connaissance. La connaissance dont disposent les individus pour prendre leur décision est en effet pour partie subjective, dépendante de « circonstances particulières de temps et de lieu » et pour partie inconsciente. Hayek met ainsi l’accent sur le fait que la coordination des actions individuelles nécessite une procédure décentralisée de diffusion de la connaissance. Plus encore, il montre que la concurrence constitue un processus de découverte des connaissances dont l’entrepreneur apparaît être implicitement le moteur. L’activité entrepreneuriale est ainsi décrite comme tendant à établir la coordination des actions individuelles sur le marché.

Le débat sur la possibilité de réaliser un calcul économique rationnel dans une économie socialiste a en outre constitué une rupture pour la tradition autrichienne : Schumpeter s’est alors définitivement détaché de la perspective suivie par les « néo-autrichiens ». Nous verrons en effet qu’il se sépare de ceux-ci dans la mesure où il considère qu’une organisation économique fondée sur la propriété collective des moyens de production est possible. Toutefois, par certains aspects, la théorie de l’entrepreneur de Schumpeter est largement influencée par les enseignements des fondateurs de la tradition autrichienne. Nous montrerons ainsi que l’approche de Schumpeter est très proche de celle développée par Wieser. Schumpeter produit une approche non strictement économique de l’activité entrepreneuriale : il esquisse même une analyse sociologique et historique de la fonction entrepreneuriale, analyse qui est absente chez les « néo-autrichiens ». Aussi montrerons nous que Schumpeter occupe une position charnière entre les « néo-autrichiens » et les fondateurs de la tradition autrichienne.