2.1.2. Monopole et obstacles à la concurrence

Si la liberté est inséparable du fonctionnement de la concurrence, il nous faut maintenant nous attacher aux obstacles qui peuvent nuire à l’activité entrepreneuriale et au processus concurrentiel. L’entrepreneur qui parvient à trouver et « tirer parti de circonstances particulières », bénéficie d’un monopole temporaire. L’entrepreneur qui innove ne sera incité à poursuivre son effort que s’il est assuré, pour un temps, de bénéficier seul de sa situation. Autrement dit, pour stimuler l’innovation, il est nécessaire que la découverte de nouvelles opportunités permette d’obtenir un droit d’usage temporaire et exclusif. La mise en place de brevets et de droits de propriété fournit une incitation indispensable à l’activité entrepreneuriale en ce sens que ‘« l’amélioration concurrentielle des techniques de production repose largement sur l’effort de chaque entrepreneur visant à s’assurer un profit de monopole temporaire pendant qu’il restera en tête du progrès »’ (1979b, pp. 84-85). Ainsi, selon Hayek, le monopole qui est le résultat de l’habileté de l’entrepreneur n’est donc pas, et ne doit pas être, condamné. Le droit de décider du prix ou de la qualité d’un produit au niveau le plus profitable ne peut donc être nié.

Il en est toutefois autrement, selon Hayek (1979b, p. 86) lorsque « le « pouvoir sur le marché » consiste en celui d’empêcher autrui de servir mieux les clients ». L’« ordre de marché » doit toujours être dans une situation de concurrence. Il peut arriver qu’une entreprise demeure un certain temps en situation de monopole du fait de l’impossibilité pour une autre entreprise de mettre en place une activité similaire à des coûts inférieurs, lui permettant par-là même de fournir un produit à un prix concurrentiel. Cependant, la concurrence demeure car, toute entreprise qui pourrait assurer la fourniture du même bien ou service à un prix inférieur ou égal pourrait entrer sur ce marché. Le monopole en lui même n’est donc pas remis en cause chez Hayek. Ce qui en revanche doit être proscrit est l’existence de barrières à l’entrée. Plus exactement, il ne doit exister aucun privilège qui puisse conférer à une entreprise particulière un monopole durable. L’existence de tels privilèges est l’apanage de pouvoirs discrétionnaires et arbitraires qui nient le principe de liberté individuelle.

Le monopole doit donc disparaître en même temps que les causes qui l’ont fait naître. En effet, selon Hayek (1979b, p. 99) ‘« de manière générale, l’on peut probablement dire que le dangereux (sic) n’est pas l’existence des monopoles dus à une supériorité de rendement ou à la possession de ressources exhaustibles (sic) limitées, mais la possibilité laissée à quelques monopoles de protéger et conserver leur position de monopole après qu’ait disparu la cause de leur supériorité initiale »’. Seule compte la potentialité de la concurrence 297 . Le monopole temporaire, parce qu’il peut être remis en cause à tout instant par la concurrence d’un autre participant au marché participe de la concurrence comme procédure de découverte.

Hayek considère qu’une activité monopolistique est abusive lorsqu’elle remet en cause le processus de découverte qu’est la concurrence. Ainsi en est-il chaque fois que l’État maintient artificiellement en vie des établissements en leur injectant des fonds supplémentaires, comme dans le cas de monopoles publics par exemple, alors même que ces établissements ne sont plus rentables et que d’autres concurrents pourraient les remplacer de manière plus efficace 298 .

Notes
297.

Nous ne sommes donc pas loin de l’idée de marché contestable développée par W. Baumol, J. Panzar & B. Willig (1982). Elle pêche ainsi par les mêmes défauts en ce qu’elle suppose l’absence de coûts d’entrée et de sortie sur le marché et surtout la passivité des entreprises en place. En effet, rien ne permet de supposer que l’entreprise en place ne réagira pas en mettant en place des mesures afin de s’assurer du maintien de son monopole. Hayek répond à cette critique en avançant que toute mesure de ce type va dans le sens de la concurrence, en ce qu’elle conduit à satisfaire au mieux les consommateurs. Toute mesure visant à s’assurer un monopole durable est donc proscrite. Or, dans la réalité, les entreprises chercheront généralement à se protéger et donc à contourner la législation qui est sensée garantir la concurrence contre de tels agissements.

298.

Aussi, Hayek suggère que l’on mette en place un système visant à rendre caduc tout accord restreignant la liberté du commerce. Un tel système serait préférable à l’instauration d’un organe ayant pour but de décider quel monopole est un monopole acceptable et s’appuyant sur l’interdiction pénale. Hayek critique ainsi explicitement le fonctionnement des politiques et législations anti-trusts dans la mesure où celles-ci sont la manifestation de pouvoirs discrétionnaires et arbitraires.