2.2.1. Action humaine et calcul économique

Le calcul est ainsi défini comme la méthode employée par les « techniciens » 302 , qui permet de dire ‘« comment un objet déterminé pourrait être atteint par le recours à des moyens divers (…) ou bien, comment divers moyens disponibles pourraient servir à certaines fins. Mais elle est impuissante à dire à l’homme quels procédés il devrait choisir parmi la variété infinie des modes de production imaginables possibles »’ (Mises 1949b, p. 221). Autrement dit, le calcul ne s’occupe pas de déterminer sur quels moyens ou quelles fins doivent porter ce choix. Il est par définition le moyen de comparer « l’apport et le rapport » d’une action.

Or, selon Mises (1949b, p. 247), l’économie ‘« ne doit pas confiner ses recherches dans ces modes d’action que le langage courant appelle des actions « économiques », mais les étendre à des actions que, d’une manière de parler lâche, l’on appelle « non économique » »’. Traditionnellement, sont considérés économiques les seuls besoins matériels. Mises refuse cette acception du fait même de l’existence de besoins immatériels. La satisfaction des besoins, seul motif de l’action humaine, porte aussi bien sur des biens matériels qu’immatériels. Les désirs économiques ne se résument pas aux seuls gains monétaires, mais comprennent aussi bien des valeurs morales ou religieuses. Mises (1949b, p. 254) note d’ailleurs : ‘« (…) l’homme qui choisit comment dépenser son revenu (…) est libre de faire ce qui lui plaît le mieux. Il peut faire des aumônes. Il peut, motivé par certaines doctrines et préjugés, user de discrimination à l’égard de biens de certaine origine ou provenance et choisir l’article inférieur ou plus coûteux que l’article technologiquement le meilleur et le moins cher ».’ Autrement dit, l’extension du calcul économique à des domaines autres que l’économie trouve une certaine justification dans ces lignes 303 .

Mises (1949b, pp. 212 et 214) souligne que si ‘« le calcul économique est la question fondamentale d’où dépend la compréhension de tous les problèmes couramment appelés économiques »’, il est ‘« seulement une catégorie inhérente à l’agir sous des conditions spéciales »’. Cette citation met à jour deux points fondamentaux.

Premièrement, le calcul économique ne permet pas une évaluation stable. « Le taux d’échange » 304 est « un événement historique » qui fluctue avec le temps. Il s’agit de l’expression d’une opinion, autrement dit d’une croyance à un moment donné du temps et en un lieu donné. Il ne peut donc être reproduit à l’identique.

Ensuite, le calcul économique n’est pas valable en tout temps et en tout lieu, il se trouve subordonné à l’existence de « conditions spéciales ». Ces conditions renvoient au cadre du système économique de la division du travail inscrit au sein d’un système social plus vaste fondé sur le principe de la propriété privée. Elles renvoient encore plus largement à ce que Mises (1949b, p. 251) désigne sous les termes d’« économie de pur marché » : ‘« le modèle théorique d’une économie de pur marché et sans entraves suppose qu’il y ait division du travail et propriété privée (direction privée) des moyens de production, et qu’en conséquence il y ait échange de biens et de services sur le marché. Il suppose que le fonctionnement du marché n’est pas obstrué par des facteurs institutionnels. Il suppose que le gouvernement, l’appareil social de contrainte et de répression, veille à préserver le fonctionnement du système de marché et le protège contre les atteintes de la part de tiers »’.

Comme l’emploi de l’adjectif « pur » le suggère, il s’agit d’un « modèle imaginaire », comme nous allons le voir dans la sous section suivante. Le calcul économique n’existe donc qu’au sein du système capitaliste 305 , fondé sur les principes de la division du travail et de la propriété privée.

Notes
302.

Il s’agit ici du terme anglais « technology » employé par Mises (1949a, pp. 206-207).

303.

C’est en ce sens que M. Rothbard trouve une filiation entre lui et Mises. Nous ne sommes plus très loin de « l’impérialisme de l’explication économique » de G. Becker et de ce que certains, comme K. Polanyi (1947b, p. 2), dénoncent comme « la fiction de la marchandise » qui « consigne le destin de l’homme et de la nature au fonctionnement d’un automate qui suit sa routine et est régi par ses propres lois ». K. Polanyi (1944, p. 192) cite d’ailleurs explicitement Mises comme l’un des artisans de cette fiction.

304.

Mises renvoie par cette expression au prix d’un bien donné, tel qu’exprimé sur le marché entre offreur et demandeur.

305.

Le capitalisme pour Mises (1949b, p. 243) évoque « le trait le plus typique du système, sa caractéristique saillante, à savoir le rôle que la notion de capital joue dans son pilotage ».