2.2.4. La fonction entrepreneuriale et son lien avec les autres fonctions économiques

Nous venons de voir que la spéculation est inhérente à toute action économique puisque toute action s’inscrit dans le temps. La question qui se pose est dès lors de savoir ce qui permet de différencier la fonction de l’entrepreneur de celle du producteur, du capitaliste, du manager et des autres fonctions économiques.

L’entrepreneur se distingue tout d’abord du capitaliste : l’entrepreneur ne possède aucun capital. Toutefois, l’entrepreneur emprunte généralement au capitaliste les fonds nécessaires à l’achat des moyens de production et plus largement au lancement de son activité. L’entrepreneur peut donc être considéré comme ‘« un employé des capitalistes qui spéculerait à leurs frais et prendrait cent pour cent dans les profits nets, sans être concerné par les pertes »’ (1949b, p. 267). Même dans le cas où l’entrepreneur apporterait tout ou partie des fonds nécessaires à son activité, ces fonds correspondent à sa fonction capitaliste et non à sa fonction entrepreneuriale.

Parallèlement, le capitaliste est, selon Mises (1949b, pp. 267-268), « toujours aussi un entrepreneur et un spéculateur ». De même en est-il du propriétaire foncier ou du fermier en ce qu’ils emploient « n’importe quel bien tangible ou somme d’argent, en vue d’une production, autrement dit, (…) de pourvoir aux jours à venir ». Le capitaliste et le propriétaire terrien sont donc des entrepreneurs, dans la mesure où ils spéculent sur l’avenir et agissent selon leurs anticipations. Le capitaliste étant toujours un entrepreneur, son action s’inscrit dans le changement. En effet, Mises (1949b, p. 268) souligne : ‘« dans le contexte de la théorie économique la signification des termes en question est celle-ci : Entrepreneur signifie : l’acteur, par rapport aux changements intervenant dans les données du marché. Capitaliste et Propriétaire signifient : l’acteur, par rapport aux changements de valeur et de prix qui, même lorsque toutes les données du marché demeurent égales, sont causés par le simple passage de temps, du fait de la différente appréciation entre biens présents et biens futurs »’. L’« activité entreprenariale [entrepreneurship] 311  » réside dès lors dans la décision d’affecter les facteurs de production, en particulier le capital, entre les diverses branches de production.

Pour Mises, ce qui permet de distinguer l’entrepreneur des autres acteurs de l’économie est sa rémunération. Mises (1949b, pp. 268-269) établit que « la construction imaginaire d’une distribution fonctionnelle 312  » où ‘« l’entrepreneur gagne des profits ou supporte des pertes ; les possesseurs de moyens de production (capitaux ou terre) gagnent l’intérêt originaire ; les travailleurs gagnent des salaires »’. L’intérêt 313 est donc lié à la dépréciation subie par les biens futurs par rapport aux biens présents. Il n’a donc aucun rapport avec le « risque ».

Au contraire, l’entrepreneur est celui qui prend des risques 314 . Le capitaliste ne peut supporter un profit ou une perte qu’en qualité d’entrepreneur. Notons que Mises se sépare ici explicitement de la position de Schumpeter, de Wieser et de Menger pour lesquels, ainsi que nous l’avons vu précédemment, la spécificité de l’activité entrepreneuriale ne réside pas dans la prise de risque. Chez Mises, le risque résulte de l’activité entrepreneuriale, laquelle consiste à se projeter dans le futur et dégager une opinion quant à l’évolution de la situation présente. Autrement dit, l’entrepreneur est capable de penser le futur. Aussi, l’entrepreneur qui réussit ‘« ne se laisse pas guider par ce qui était et ce qui est, mais il combine ses actions en fonction de son opinion de ce qui sera »’ : ‘« son comportement est orienté par une vision du futur qui diverge de celle de la majorité »’. La perception est donc au cœur de la fonction entrepreneuriale.

L’entrepreneur combine les différents facteurs de production de manière à en tirer un profit, une satisfaction personnelle. Selon Mises, la motivation de l’entrepreneur ne diffère pas non plus de celle des autres hommes : il cherche à améliorer son état de satisfaction. C’est pourquoi la fonction entrepreneuriale existe chez tous les hommes. Mais, si tous sont des entrepreneurs, pourquoi certains d’entre eux réussissent mieux que d’autres ? Pourquoi certains sont connus et reconnus du fait de l’étendue de leur profit et de leur réussite alors que d’autres restent de parfaits anonymes, réussissant tout juste à survivre ou cumulant les échecs ?

Mises (1949b, p. 269) ne semble pas capable de répondre à cette question à partir de la définition de l’entrepreneur. Il est contraint d’introduire un autre « concept », celui d’« entrepreneur-promoteur » 315 qui a pour origine le fait que tous les individus ne réagissent pas de la même façon face au changement. Aussi, Mises (1949b, p. 269) distingue-t-il les « chefs de file » qui se démarquent par leur « promptitude » à réagir au changement et « ceux qui imitent seulement la procédure de leurs concitoyens les plus agiles ». Le « concept » d’entrepreneur-promoteur permet en effet à Mises d’introduire un type d’entrepreneur particulier, l’entrepreneur qui réussit. Les entrepreneur-promoteurs ou les promoteurs, comme les nomment le plus souvent Mises, sont ‘« ceux [des entrepreneurs] qui ont plus d’initiative, d’esprit aventureux, un coup d’œil plus prompt que la foule, les pionniers qui poussent et font avancer le progrès économique »’ (1949b, p. 269). Le concept d’entrepreneur-promoteur permet de mettre en avant les caractéristiques de l’entrepreneur, puisque les qualités nécessaires à l’exercice de la fonction entrepreneuriale sont plus importantes et donc davantage mises en valeur. Mises (1949b, p. 569) explique ainsi que ‘« les individus les plus portés à prévoir et à entreprendre sont amenés à réaliser constamment des profits en réajustant sans se lasser la combinaison des activités de production de façon à répondre le mieux possible aux besoins des consommateurs ; à la fois les besoins dont les consommateurs ont déjà conscience, et les besoins latents qu’ils n’ont pas encore pensé à satisfaire »’. Les entrepreneurs-promoteurs se définissent par leur capacité à mieux répondre aux attentes des consommateurs et même à anticiper quels pourront être leurs besoins dans le futur. Bien que Mises ne l’affirme pas explicitement, ce que fera Kirzner (1979), l’entrepreneur peut créer un besoin chez les consommateurs, dans la mesure où ce besoin n’existait pas pour eux auparavant. L’activité entrepreneuriale est donc, comme le montre par ailleurs Hayek, une activité de découverte, mais elle implique aussi de faire face à l’incertitude : ‘« ces opérations de découverte et de risque de la part des promoteurs révolutionnent à nouveau chaque jour la structure des prix »’ comme les décrit Mises (1949b, p. 569). Si l’activité entrepreneuriale prend sa source dans l’incertitude, elle produit en même temps elle-aussi de l’incertitude en introduisant des changements. Notons que l’on retrouve ici une idée développée par Schumpeter 316 lorsque celui-ci introduit le concept d’innovation. Finalement, plus que le risque, c’est l’incertitude qui caractérise l’activité entrepreneuriale.

Pour Mises (1951, p. 2), à la différence de Schumpeter, l’entrepreneur n’est pas uniquement un innovateur. L’activité entrepreneuriale n’est pas synonyme d’améliorations technologiques pas plus que d’innovation. La fonction entrepreneuriale étant de tirer parti du ‘« changement dans les données, en particulier concernant la demande des consommateurs »’ qui ‘« peuvent nécessiter des ajustements qui n’ont aucun rapport avec des innovations et des améliorations technologiques »’. L’entrepreneur n’est donc pas forcément un innovateur, même si, ‘« dans l’organisation économique de la société du système capitaliste, les entrepreneurs déterminent la direction de la production »’ Mises (1951, p. 1).

Il se distingue ainsi du « technicien » qui a pour charge « des tâches technologiques » (1949b, p. 321). Le technicien est toujours motivé par la recherche de la méthode « assurant un rendement matériel plus élevé ». L’entrepreneur recherche le profit, autrement dit, ‘« la solution la plus économique, c’est-à-dire celle qui évite d’employer des facteurs de production dont l’utilisation empêcherait de satisfaire les désirs les plus intensément ressentis des consommateurs »’ (1949b, p. 321). Aussi, la direction de l’entreprise ne doit-elle pas être laissée à l’appréciation des techniciens, ou même des « directeurs 317  » (1949b, p. 323). Techniciens et « directeurs » n’ont pour seule tâche que d’assister l’entrepreneur et de lui permettre de résoudre des « problèmes mineurs ». La décision de l’entrepreneur comprend non seulement l’orientation de la production, c’est-à-dire, selon Mises (1949b, pp. 320 et 321), la « détermination du plan général d’utilisation des ressources » mais « une multitude de décisions de détail » impliquées par l’orientation choisie et qui doivent toujours tendre à chercher la solution la plus économique. Mises (1949b, pp. 324-325) énonce ainsi trois tâches appartenant aux fonctions de l’entrepreneur quant à la détermination de l’orientation générale de l’entreprise. Tout d’abord, l’entrepreneur doit déterminer dans quelles branches d’activité et dans quelle mesure doit être employé le capital. Il a ensuite pour fonction de décider « de l’extension ou de la réduction de l’ensemble de l’affaire et de ses principales divisions ». Enfin, il « fixe la structure financière de l’entreprise » (1949b, pp. 324-325).

Parallèlement, le « directeur » est défini comme « un associé subalterne de l’entrepreneur, quels que soient les termes contractuels et financiers de son engagement » (1949b, p. 322). Le directeur a en charge une « division [section] » de l’entreprise, qui « « possède » une part définie du capital total » de l’entreprise, ses propres dépenses et revenus, les profits et les pertes réalisés étant de sa seule responsabilité. Toutefois, le directeur risque uniquement son emploi et sa réputation. S’il échoue, il ne sera pas contraint de rembourser les pertes sur ses propres fonds. Même s’il sera vraisemblablement renvoyé, il pourra chercher un nouvel emploi 318 . Seul le capitaliste, propriétaire, risque ses propres biens et supporte donc les pertes éventuellement subies. Aussi, et à la différence de ce qu’affirmeront par exemple A. Alchian et H. Demsetz (1972, p. 782) 319 , Mises note qu’il n’est pas utile de rémunérer le directeur ‘« en proportion de l’apport de sa division au profit recueilli par l’entrepreneur »’, puisque ‘« lorsqu’il est rémunéré par une portion des profits (…) [il] devient téméraire, parce qu’il n’intervient pas également dans les pertes »’. Pour Mises (1949b, p. 322), le directeur est de toute manière intéressé par le succès de sa division, puisque si celle-ci ne produit pas de bons résultats, il peut perdre son emploi 320  : ‘« s’il aboutit à des pertes, il sera remplacé par quelqu’un dont l’entrepreneur attend de meilleurs résultats, ou bien la branche sera entièrement supprimée »’. Le directeur est en ce sens un travailleur comme un autre, il ne subit pas de pertes autre que son apport à l’entreprise, c’est-à-dire son travail. S’il perd son emploi, le travailleur doit pouvoir, en l’absence de toute entrave sur le marché, trouver un nouvel emploi. Il est donc différent du capitaliste qui lui, risque son capital et qui, une fois celui-ci disparu, ne peut plus exercer sa fonction.

Mises est donc conscient des problèmes que peuvent poser les intérêts divergents des différents acteurs. Il met l’accent sur le rôle des actionnaires et apporteurs de capitaux dans la direction des entreprises : « l’orientation générale de la conduite des affaires d’une société est déterminée par les actionnaires et leurs mandataires élus, les administrateurs » (1949b, p. 324). Les directeurs sont donc directement sous la tutelle des actionnaires qui, en tant qu’entrepreneurs, décident de « l’orientation générale » de l’entreprise, embauchent et licencient les directeurs. Finalement, la fonction entrepreneuriale est souvent associée à l’exercice de la fonction de direction ou de capitaliste dans la mesure où, par exemple, le capitaliste agit de manière entrepreneuriale en choisissant un directeur capable de faire acte lui-même d’entreprenariat. La fonction entrepreneuriale n’est donc pas liée à l’exercice d’une fonction particulière mais peut être associée à toute autre fonction économique.

Si le profit de l’entrepreneur n’est pas la rémunération pour l’introduction d’une innovation comme chez Schumpeter, il est ‘« généré par le succès (…) de l’ajustement du cours des activités de la production à la demande la plus pressante des consommateurs »’ selon Mises (1951, p. 1). Le profit est alors présenté comme la récompense pour la participation à la survie de la société : il est décrit comme un ‘« constat portant sur un phénomène social, sur l’appréciation que portent les autres membres de la société à l’égard de sa contribution à l’effort social de production »’. L’entrepreneur a donc une fonction sociale : il participe à l’amélioration de la situation de tous les membres de la société. Le profit dans l’« économie en mouvement » 321 est exprimé en monnaie et résulte de la différence entre la somme des facteurs de production et les prix des produits. Il dépend donc encore une fois du jugement de l’entrepreneur quant à l’évolution de la situation. Plus exactement, il est le fruit des spéculations entrepreneuriales concernant l’évolution de la demande des consommateurs.

Plus encore, l’entrepreneur ne perçoit de profit que dans la mesure où il fait mieux que d’autres : ‘« s’il prévoit les situations à venir, mieux que ne le font les autres entrepreneurs »’, comme le note Mises (1949b, p. 310). Le profit est donc un « phénomène transitoire » qui provient « d’une divergence entre les prix attendus et les prix réellement fixés plus tard par les marchés » (1949b, pp. 310 et 312). Il est sans cesse remis en cause par l’évolution du processus de marché. Un entrepreneur ne peut s’assurer un profit qu’en restant attentif à l’évolution des prix et en anticipant de manière à rester le plus près possible de ce qui se produira dans le futur. C’est pourquoi, selon Mises (1949b, p. 332), ‘« un homme devient un entrepreneur en saisissant une occasion et en comblant un vide »’, autrement dit en adaptant la production aux demandes les plus urgentes. Le profit se distingue donc des rentes de situations qui découlent de situations dans lesquelles un privilège est accordé de manière délibérée par les gouvernements à des individus particuliers dans le but d’organiser une planification de la société. Ces politiques « anticoncurrentielles » ont pour objectif de substituer au système concurrentiel du capitalisme un système socialiste de planification. En effet, selon Mises (1951, p. 13), l’application de ces politiques de confiscation du profit a pour résultat « la complète réalisation du socialisme en débusquant les entrepreneurs », autrement dit « le chaos », puisque « ce sont les profits et les pertes qui forcent les capitalistes à employer leur capital pour servir au mieux les consommateurs ».

Toutefois, le profit n’est pas pour autant « une « récompense » décernée par le client au fournisseur qui l’a le mieux servi que d’autres attardés dans leur routine » (1949b, p. 317) et n’est donc pas lié à la concurrence entre les entrepreneurs. Au contraire, il est produit par la concurrence qui existe entre les acheteurs. Il est ‘« le résultat de la hâte des acheteurs, empressés à enchérir sur d’autres également désireux d’acquérir une part de l’approvisionnement limité »’ (1949b, p. 317). Toutefois, si plusieurs entrepreneurs produisent des biens et services identiques ou substituables, les acheteurs auront alors plusieurs alternatives à leur disposition. Il semble alors que si la concurrence entre les entrepreneurs n’est pas à l’origine de l’émergence du profit, elle a une influence importante sur la part du profit qu’un entrepreneur peut obtenir.

Finalement, nous avons vu que chez les « néo-autrichiens », l’accent est encore davantage mis sur la dynamique et le mouvement qui caractérisent le fonctionnement du marché. L’entrepreneur à la recherche du profit exploite les différences de prix existantes et diffuse par là même l’information nécessaire aux autres participants au marché. Son action, parce qu’orientée vers le futur, est incertaine. Il peut commettre des erreurs d’interprétation et perturber le fonctionnement du marché. Toutefois, son action n’est pas considérée comme déséquilibrante pour le processus de production.

En définitive, pour Hayek comme pour Mises, le processus qui permet de se rapprocher de la parfaite coordination ne doit pas être entravé. La libre concurrence et plus particulièrement la potentialité de la concurrence est ainsi la condition nécessaire au bon fonctionnement du processus de marché et au développement de l’action entrepreneuriale. Cette conception de l’économie marchande repose sur des hypothèses fortes concernant la liberté individuelle et la propriété privée au cœur de la perspective libérale défendue par ces auteurs. Nous verrons dans la section suivante dans quelle mesure ces hypothèses modèlent et sous-tendent le raisonnement des « néo-autrichiens ».

Notes
311.

Mises préfère l’expression « action of entrepreneurs » dans Human action, ce que les traducteurs français ont rendu par « action des entrepreneurs » et que nous rendons parfois quant à nous par l’expression « action entrepreneuriale » par souci grammatical. Toutefois, le terme « entrepreneurship » généralement traduit en français par le terme « entrepreneuriat » ou « entreprenariat » n’est pas ou peu présent dans Human action. Nous rencontrons toutefois ce terme dans l’article de Mises de 1951. Il ne nous semble pas toutefois qu’il y ait de différence entre ces diverses expressions. Chacune renvoie à l’exercice de la fonction entrepreneuriale.

312.

Expression soulignée par l’auteur. Il est important de noter que Mises (1949b, p. 269, en particulier n. 15) souligne que la « construction imaginaire d’une distribution fonctionnelle » qui l’intéresse ici diffère de celle qu’implique la construction imaginaire d’un État socialiste.

313.

Nous pouvons noter que, dans sa définition de l’« intérêt originaire », Mises (1949b, pp. 556 et 566 entre autres) se réfère explicitement à Schumpeter (1926b), plus particulièrement à l’édition de 1934, même si c’est pour s’en distinguer sur certains points. Ainsi, Mises (1949b, p. 556) rejette l’idée de Schumpeter selon laquelle au sein de la construction imaginaire d’une économie en régime constant, il n’existerait pas d’intérêt. Mises (1949b, pp. 556-558) identifie donc ici parfaitement l’« économie en régime constant » avec le « circuit économique » de Schumpeter.

314.

Sont en effet considérés comme entrepreneurs « ceux qui s’appliquent particulièrement à réaliser un profit en adoptant la production aux changements probables de situation (…) » (Mises, 1949b, p. 269).

315.

Nous refusons donc de considérer l’« entrepreneur-promoteur » comme un concept fondamentalement différent de celui d’« entrepreneur pur ». P. Gunning (2000) distingue en effet l’« entrepreneur praxéologique » [praxeological entrepreneur] de l’« entrepreneur-promoteur ». Le premier concept correspond, selon P. Gunning (2000, p. 3), à la définition de Mises (1949b, p. 268) de « l’acteur, par rapport aux changements intervenant dans les données du marché ». Parallèlement, le second concept « est un concept utilisé dans l’analyse du processus de marché » pour P. Gunning (2000, p. 3). Il définit ainsi le promoteur comme « une caractéristique générale de la nature humaine ». Or, Mises (1949b, p. 269) précise dans la phrase suivante : « c’est le fait que les divers individus ne réagissent pas à un changement de situation avec la même promptitude ni de la même façon ». Les deux concepts définis par P. Gunning ne sont en fait que les deux faces d’un même phénomène décrit par le terme d’entrepreneur-promoteur, lequel désigne par ces deux termes la fonction de l’entrepreneur. Nous pensons, contre P. Gunning, que le terme de « promoteur » permet uniquement d’introduire une différence d’intensité dans l’exercice de la fonction entrepreneuriale. Autrement dit, ce concept permet d’expliquer pourquoi certains individus seront plus prompts que d’autres à percevoir et tirer parti des opportunités de profit.

316.

Nous renvoyons le lecteur au chapitre précédent, en particulier au paragraphe intitulé « Les entrepreneurs » où il est question du concept de « construction créatrice » et de ses implications sur le fonctionnement de l’économie.

317.

Nous préférons utiliser le terme « directeur ». Nous conservons toutefois ici la traduction proposée. Le choix du terme « manager » nous semble d’autant plus maladroit que le texte anglais original emploie dans la suite du texte les termes de « manager » et de « submanager » (1949a, p. 305) que le traducteur français traduit par « directeur » et « sous-directeur » (1949b, p. 322).

318.

Certes, Mises envisage qu’un licenciement puisse avoir un effet négatif sur la réputation du directeur auprès des autres employeurs. Toutefois, il ne doute pas du fait qu’il puisse trouver un nouvel emploi. Cette analyse repose ainsi sur l’hypothèse discutable selon laquelle il n’y a pas de chômage ou, du moins, que la reconversion d’un travailleur licencié est automatique. Autrement dit, Mises ne rompt pas avec l’hypothèse de parfaite substituabilité des facteurs. Cette hypothèse est d’ailleurs possible par le fait que l’entreprenariat ne constitue pas un facteur de production.

319.

A. Alchian et H. Demsetz (1972, p. 782) supposent la présence d’un agent central en charge de la surveillance du travail en équipe qui serait rémunéré en fonction des « gains nets de l’équipe, nets de la rémunération des autres inputs ». Cet agent, que l’on peut facilement assimiler au « manager », agira de manière efficace, autrement dit, s’assurera du contrôle de la productivité de l’équipe. Notons, toutefois, que l’argumentation misesienne, bien que critique vis-à-vis de l’application d’une règle telle que celle-ci, ne nie pas le principe selon lequel l’efficacité résulte de la rémunération et de la motivation qu’elle procure aux agents. Mises au contraire s’appuie explicitement sur le lien existant entre motivation et rémunération.

320.

Il est intéressant de noter que M. Jensen et W. Meckling parviennent à la même conclusion dans leur article de 1976. Ils soulignent en effet que l’efficacité de la firme managériale dépend d’autres facteurs que ceux qu’ils reconnaissent par la suite en 1979. Parmi ces facteurs, M. Jensen et W. Meckling reconnaissent l’importance de l’existence d’un marché des « managers » lequel fait peser sur le « manager » la menace de perdre son emploi. Pour une analyse des différences entre les deux articles et une évaluation critique de leur apport à la théorie néo-institutionnelle de l’entreprise, nous renvoyons le lecteur notamment à H. Gabrié et J. L. Jacquier (1994, pp. 228-311).

321.

Nous utilisons cette expression d’« économie en mouvement » ou « économie changeante » pour la distinguer de la construction imaginaire d’une « économie en régime constant » définit par Mises. Notons que Mises (1949b, p. 307 par exemple) utilise l’expression « le monde changeant de la réalité » pour désigner la même « économie en mouvement ».