3.1.2. Liberté, responsabilité et droits de propriété

Parallèlement, Hayek s’attache à montrer l’importance de la propriété privée comme garant de l’exercice de la liberté individuelle et moteur de l’économie de marché. Selon lui, ‘« dans la société moderne (…) la condition essentielle de la protection contre la coercition n’est pas que l’individu possède quelque propriété, mais que les moyens matériels qu’il lui faut pour suivre un plan d’action quelconque, ne se trouvent pas sous le contrôle d’un seul autre agent »’ (1960b, p. 141). Il ne doit ainsi exister aucune entrave à la transmission des droits de propriété.

Le système de la propriété privée permet à l’individu de suivre son intérêt personnel. Parce que la propriété peut être transmise, et donc dans une certaine mesure remise en cause, l’entrepreneur n’est pas contraint de se plier à des intérêts jugés supérieurs. Il peut agir selon ses plans, dans la mesure où il ne remet pas en cause la liberté d’autrui et, ainsi, assurer le bien-être de nombreux autres individus qui lui sont inconnus. Le principe de la « main invisible » repose ainsi sur l’établissement de la propriété privée.

En outre, la protection de la liberté individuelle se justifie par le fait de notre ignorance 326 . Par conséquent, le principe de la propriété privée est le garant de la liberté d’agir au sein du processus de marché selon Hayek (1960b, p. 141) en ce sens que ‘« c’est la concurrence rendue possible par la dispersion de la propriété qui enlève aux propriétaires de certains biens le pouvoir de coercition »’.

La liberté individuelle et la propriété privée fournissent non seulement une incitation à agir et en particulier à entreprendre, mais elles contraignent l’individu en ce qu’elles font porter sur lui non seulement les gains, mais les pertes que la réalisation d’une telle action entraîne. La liberté et la propriété individuelles sont donc nécessairement contraintes par un troisième principe auquel ces deux principes sont étroitement liés : il s’agit du principe de responsabilité. Si l’individu n’était pas responsable des conséquences que peuvent entraîner ses actes pour autrui, il n’aurait aucun intérêt à agir de manière à ce que le gain qu’il espère ne provoque pas une limitation de la sphère de la liberté d’autrui. Aussi Hayek (1960b, p. 77) peut-il avancer que ‘« la fonction principale de la foi en la responsabilité individuelle est de nous porter à utiliser au mieux nos connaissances et capacités propres dans l’accomplissement de nos desseins »’. Le principe de responsabilité fournit une incitation à agir dans l’intérêt de l’ensemble des individus. En dernière analyse, plus qu’une incitation pécuniaire ou juridique, c’est le jugement que l’autre porte sur nos actions qui guide nos décisions. En effet, l’entrepreneur qui ne parvient pas à satisfaire les consommateurs subira la sanction du marché : il sera évincé par d’autres entrepreneurs qui satisferont mieux les consommateurs. Si l’entrepreneur n’était pas responsable de ses actes, il n’aurait aucun intérêt à rechercher l’information sur les goûts et les préférence des consommateurs ou la manière de produire au coût le plus faible. Autrement dit, la place qu’occupe un individu dans l’échelle sociale est déterminée par sa capacité à satisfaire les autres. Ainsi Hayek (1960b, p. 77) affirme-t-il que ‘« dans une société libre, un individu sera estimé en fonction de la façon dont il se sert de sa liberté »’. Liberté, propriété privée et responsabilité sont donc au cœur de la conception « néo-autrichienne » du fonctionnement du marché en ce qu’elles permettent de tirer parti au mieux de la contrainte que constitue la dispersion de la connaissance entre les divers participants au marché.

Notes
326.

Parce que nous sommes incapables de rassembler toute la connaissance nécessaire à l’organisation de la société, nous devons nous en remettre aux vertus du processus concurrentiel de découverte des informations. Voir supra.