3.2.2. Ordre spontané, organisation et activité entrepreneuriale

L’entreprise en tant qu’organisation est fondée sur une structure hiérarchique, des commandements et des règles d’organisation. L’activité de direction est donc essentielle au sein d’une telle structure, puisque c’est elle qui permet la cohésion de l’ensemble. Plus qu’à l’activité entrepreneuriale, c’est donc à la direction qu’Hayek (1960c) s’intéresse lorsqu’il se penche sur les problèmes rencontrés par les entreprises. Pour Hayek (1966c, p. 301), la « direction [management] » de l’entreprise exerce en ce sens un « pouvoir » particulier qui renvoie à ‘« la capacité de mettre l’énergie et les ressources des autres individus au service des valeurs que ces autres individus ne partagent pas »’. Plus encore, la direction de l’entreprise a en charge d’allouer les profits en fonction de ce qu’elle pense pouvoir profitablement utiliser comme capital additionnel et de réinvestir le capital que les actionnaires décident de leur confier. Hayek reconnaît ainsi qu’il existe une lutte de pouvoir entre les actionnaires et les directeurs. Il souligne en effet que l’intérêt des directeurs réside dans la maximisation des profits alors que les actionnaires cherchent à maximiser le rendement direct de leurs participations au capital. Finalement, Hayek (1960c, p. 300) pense que la tendance à diriger les entreprises en fonction d’« objectifs spécifiques autres que la maximisation sur le long terme des rendements du capital » qu’il observe à l’époque où il écrit cet article, est liée à la nature des institutions, en particulier de leur structure juridique. Il affirme ainsi qu’il suffit de changer la loi pour que cette tendance prenne fin.

Plus fondamentalement, Hayek considère que l’entreprise se définit par les mêmes problèmes de dispersion de la connaissance entre ses membres que ceux que l’on rencontre sur le marché. Ainsi que l’écrit Hayek (1973b, p. 57), ‘« l’organisateur se heurte ici au problème que rencontre toute tentative pour mettre de l’ordre dans les complexes affaires humaines : l’organisateur a absolument besoin que les individus devant assumer une part du travail mettent en ouvre du savoir que lui-même ne possède pas »’. Les commandements fixent uniquement les objectifs de l’organisation, mais ils ne dictent pas aux individus ce qu’ils doivent faire. En ce sens, l’entreprise repose sur des « règles d’organisation » plus générales et abstraites qui laissent une marge de liberté d’action aux individus et leur permettent de décider en fonction de leurs connaissances. Ainsi, il existe en sus des commandements des ‘« règles d’organisation [qui] sont donc nécessairement subsidiaires par rapport aux commandements, comblant les lacunes laissées par ceux-ci »’ (1973b, p. 58).

Hayek ne poursuit cependant pas plus avant son analyse des relations unissant les différentes fonctions économiques au sein de l’entreprise. Il explique que l’organisation doit répondre au problème de la dispersion de l’information, mais il ne pousse pas lui-même le raisonnement jusqu’à affirmer explicitement quel rôle joue l’entrepreneur. Si Hayek se penche sur les caractéristiques des organisations, c’est seulement pour souligner qu’elles ne peuvent survivre en l’absence de règles plus générales et de l’ordre spontané qu’est le marché. De nombreux travaux 333 ont ainsi cherché à réconcilier la théorie de l’ordre spontané avec la théorie de la firme.

Finalement, la théorie hayekienne de l’ordre spontané dans laquelle s’insère la représentation de l’entreprise repose sur deux points essentiels. Tout d’abord, par définition, l’organisation est toujours encastrée dans un ordre spontané plus grand. Elle n’est donc jamais qu’un élément constitutif d’un ordre spontané supérieur. Ensuite, l’organisation est toujours centrée sur un objectif particulier qui la définit.

Notes
333.

Nous pensons plus précisément à la littérature qui s’est développée à la suite de l’article de Coase en 1937, « The Nature of the Firm » pour donner naissance à ce que l’on appelle aujourd’hui la théorie de la firme. Parmi les travaux contemporains de tradition autrichienne qui s’inscrivent dans ce champ nous pouvons citer M. Bensaïd (2002), J. Bliek (2001), P. Dulbecco et P. Garrouste (1999 et 2000), S. Ioannides (1992 ; 1998 ; 1999b et c), N. Foss (1994 ; 1997 et 1998), R. Langlois (1993), P. Lewin et S. Phelan (2000), F. Sautet (2000) ou encore T. F. L. Yu (1999).