Conclusion

Nous avons vu dans ce chapitre que le débat sur la possibilité de réaliser un calcul économique rationnel dans une économie socialiste a été l’occasion pour Hayek et Mises de prendre conscience de leur spécificité par rapport aux théories fondées sur une représentation de l’économie à l’équilibre. L’analyse du fonctionnement de l’économie de marché a ainsi mis en évidence le rôle particulier de l’entrepreneur. Pour Mises, l’entrepreneur est d’abord apparu au travers de la dichotomie établie entre l’initiative commerciale, caractéristique du fonctionnement de l’économie de marché libre et l’obéissance bureaucratique, spécifique au fonctionnement d’une économie fondée sur l’obéissance à des règles émanant du sommet de la hiérarchie. Au travers de l’examen des critiques adressées par Mises au « projet fédéraliste » proposé par K. Polanyi, nous avons montré que la représentation misesienne du fonctionnement de l’économie de marché repose plus particulièrement sur la croyance en la supériorité de l’économie de marché.

Plus tard, Mises développe une théorie de l’action humaine où l’entrepreneur est décrit comme un spéculateur, un individu capable de se représenter comment les événements futurs pourraient se dérouler et d’agir en conséquence de ses anticipations. Dès lors, la fonction de l’entrepreneur peut être exercée par tous les individus à tous les niveaux de la firme. L’activité entrepreneuriale peut certes être exercée par le directeur ou le capitaliste, mais toutes les actions des directeurs et des capitalistes ne sont pas des actions entrepreneuriales. Si l’activité entrepreneuriale est au cœur du processus de marché, son analyse reste très générale. Nous verrons que c’est seulement avec l’analyse de Kirzner que cette question des liens entre les différentes fonctions économiques commence à être abordée plus en détails par la théorie autrichienne. Plus encore, nous verrons que pour Kirzner la confrontation des différentes anticipations sur lesquelles reposent l’exercice de ces différentes fonctions économiques conduit à l’apparition d’une tendance à la coordination de l’ensemble des actions individuelles.

Parallèlement, le débat sur la possibilité d’un calcul économique rationnel dans une économie fondée sur la propriété collective des moyens de production a été l’occasion pour Hayek de développer l’idée selon laquelle la connaissance est par nature subjective, « circonstancielle de temps et de lieu » et dispersée entre les individus. L’entrepreneur est alors défini comme un acteur essentiel du processus de diffusion de cette connaissance. Le processus de marché aura toujours tendance selon Hayek à se rapprocher de la situation de parfaite coordination des actions individuelles du fait du processus de diffusion des connaissances. Nous verrons dans le chapitre suivant que Kirzner reprend et développe cette idée selon laquelle l’entrepreneur participe au processus d’acquisition de la connaissance.

Finalement, si Mises et Hayek accordent un rôle à l’entrepreneur, leur analyse est loin de nous permettre de comprendre quelle est la nature de l’activité des entrepreneurs, ni même de comprendre pourquoi et comment celle-ci permet à l’économie de se rapprocher de la parfaite coordination. Ces deux auteurs ont permis d’initier l’analyse du processus de marché, toutefois celle-ci s’est limitée à mettre en évidence que la libre entrée sur le marché est la condition nécessaire au bon fonctionnement du processus de marché et au développement de l’action entrepreneuriale. La vision du fonctionnement de l’économie de marché proposée par Hayek et Mises est ainsi fondamentalement liée à une représentation de la société fondée sur les principes de liberté individuelle et de propriété privée des moyens de production.