Partie 3. La tradition autrichienne contemporaine : une théorie de l’activité entrepreneuriale au service du processus de marché entre « équilibre » et « chaos »

Introduction

Avant de nous intéresser dans les chapitres suivant aux différences entre les approches de Kirzner et de Lachmann, nous souhaitons souligner la communauté de pensée de ces deux auteurs qui furent les principaux artisans du renouveau de la pensée « autrichienne » à partir des années 1970. Malgré leurs différences, ces auteurs se retrouvent sur l’idée que le marché est un processus économique où se confrontent les anticipations et les actions individuelles. Ils revendiquent ainsi tous deux l’héritage des « néo-autrichiens ». Plus encore, ces auteurs ont travaillé de concert à la construction d’une « économie autrichienne ». Ils ont ainsi tous deux participé au développement de celle-ci aux États-Unis, et en particulier à New York. Kirzner était en effet l’un des piliers du programme d’économie autrichienne à l’université de New York 334 , reprenant ainsi le travail entrepris par Mises avant lui. Bien qu’installé en Afrique du Sud, Lachmann participa aux séminaires d’été et conférences organisés par cette université durant de nombreuses années avant que sa santé ne l’en empêche. Ils ont ainsi formé et influencé de nombreux étudiants parmi lesquels P. J. Boettke, D. Harper, P. Lewin ou M. Rizzo qui contribuent aujourd’hui à leur tour au développement de la tradition autrichienne.

Leur conception respective de l’activité entrepreneuriale leur permet en effet de donner un sens spécifique à l’expression de « tradition autrichienne », comme le note de manière intéressante F. Sautet (2000, p. 68).

Kirzner décrit ainsi l’activité entrepreneuriale comme la découverte d’opportunités de profit que les individus n’avaient pas remarquées jusqu’alors. Plus encore, l’activité entrepreneuriale provient de la vigilance des individus vis-à-vis des changements qui surviennent dans son environnement. Kirzner considère donc dans ce sens que l’activité entrepreneuriale permet de se rapprocher d’une situation d’équilibre optimal, c’est-à-dire de la parfaite coordination des actions des individus. Toutefois, cette tendance à l’équilibre est sans cesse remise en cause du fait des changements incessants et des erreurs des individus.

De son côté, Lachmann met en évidence le fait que l’activité entrepreneuriale est fondamentalement indéterminée. Il ne peut selon lui exister de tendance à l’équilibre telle que celle que décrit Kirzner. En effet l’issue du processus de marché dépend de l’interaction entre les différents plans et les différentes anticipations des individus. Il n’est donc pas possible, compte tenu de la subjectivité de telles anticipations, de parvenir à la parfaite coordination de tous les plans des divers participants au marché, sauf par pur hasard. Lachmann souhaite ainsi souligner le fait que l’activité entrepreneuriale ne permet pas nécessairement de parvenir à coordonner les actions des divers participants au marché. De plus, il montre qu’il n’existe pas un processus de marché, mais plusieurs types de processus de marché interconnectés, dont le résultat d’ensemble ne peut être compris indépendamment de la structure d’ensemble dans laquelle ils s’inscrivent. Lachmann met ainsi en évidence le rôle de l’activité entrepreneuriale au sein du processus d’émergence et d’évolution des institutions.

Finalement, nous avons choisi d’étudier la manière dont la tradition autrichienne contemporaine se propose d’expliquer le fonctionnement de l’activité entrepreneuriale : soit qu’elle suppose qu’il existe une tendance à la coordination des actions individuelles ou qu’il ne soit pas possible de déterminer son résultat sur le processus de marché.

Notes
334.

Kirzner est aujourd’hui à la retraite. Il participe encore parfois aux séminaires d’été organisés par l’université et la Foundation for Economic Education.