Nous souhaitons montrer dans cette première section comment la construction de la théorie de Kirzner s’appuie sur les idées développées par Mises et Hayek. Notre auteur fonde son analyse sur la théorie de l’action humaine de Mises et plus particulièrement sur la distinction entre le comportement calculateur et l’activité entrepreneuriale. Le concept de vigilance entrepreneuriale, défini comme la capacité des individus à mettre à jour des opportunités de profit non encore découvertes jusqu’alors, implique donc la découverte d’une structure moyens-fins. Toutefois, ce concept de vigilance ne permet pas de prendre en compte pleinement la nature créatrice de l’action entrepreneuriale. Il met cependant en lumière le fait que le processus de marché prend du temps, l’issue de ce processus étant incertaine. L’activité entrepreneuriale apparaît alors comme une fonction distincte des autres fonctions économiques que peuvent exercer les individus. Reprenant la méthode des modèles imaginaires de Mises, Kirzner distingue ainsi la fonction entrepreneuriale « pure » de l’activité entrepreneuriale telle qu’elle peut être observée sur le marché. Cette méthode lui permet ainsi de mettre en exergue les caractéristiques spécifiques de la fonction entrepreneuriale, mais aussi de souligner les liens pouvant exister entre les diverses fonctions économiques.
Le second pilier sur lequel repose l’analyse de Kirzner est l’idée d’Hayek selon laquelle la connaissance dont disposent les individus pour prendre leurs décisions est subjective et donc fondamentalement dispersée entre eux. Plus encore, Kirzner montre que l’activité entrepreneuriale appartient à un processus d’apprentissage, puisqu’elle permet la diffusion de la connaissance des opportunités de profit parmi les individus indépendamment du processus d’apprentissage qui peut être délibérément entrepris par les individus. Le processus de marché concurrentiel, pour paraphraser Kirzner (1979, p. 146), tend à transformer l’omniscience en ignorance et il est sujet aux erreurs que peuvent commettre les individus. L’apport de notre auteur est ainsi de montrer le rôle de la publicité et des efforts de vente dans le processus de diffusion de l’information. Contrairement aux analyses traditionnelles en économie, Kirzner met en évidence le fait que la publicité n’est pas la prérogative des entreprises tentant de se constituer une position de monopole. Nous verrons que cette hypothèse d’une « tendance à l’omniscience » 345 qu’implique la tendance à la découverte des opportunités de profit découle du choix du cadre de l’économie de marché « pure ». Toutefois, une telle représentation de l’activité entrepreneuriale pourrait être remise en cause par la prise en compte de l’information que fournit l’interaction de la fonction entrepreneuriale avec les autres fonctions économiques.
Finalement, la représentation que se fait Kirzner de l’activité entrepreneuriale apparaît comme une force puissante qui tend à établir la coordination des actions individuelles, même si des erreurs et des changements continus repoussent sans cesse l’atteinte d’un équilibre. Nous verrons qu’en ce sens Kirzner s’oppose à la vision de Schumpeter pour qui l’activité entrepreneuriale est fondamentalement déstabilisatrice.
Notre expression. Nous souhaitons souligner par-là le fait que le processus d’apprentissage se situe entre deux forces opposées, à savoir l’ignorance et l’omniscience. Nous résumons la position de Kirzner quant au déroulement du processus d’apprentissage dans l’annexe 2. Nous présentons ce schéma dans la mesure où il nous a permis de saisir la position de Kirzner et nous espérons qu’il pourra remplir le même usage pour le lecteur. Nous reviendrons sur les détails de ce schéma plus loin, dans 1.2.1. « Le processus entrepreneurial : un processus de découverte spontané des connaissances ».