1.1.2. L’entrepreneur « pur » : une fiction utile et nécessaire

La réponse aux interrogations de M. Rothbard et de J. High concernant la raison de la représentation tronquée de l’entrepreneur fournie par Kirzner réside dans l’emploi de la méthode des modèles imaginaires que celui-ci emprunte à Mises. Si Kirzner ne définit pas explicitement de « types purs » comme le fait Mises (1949b, pp. 65-66 et 266), il s’intéresse à l’« entrepreneur pur » qu’il oppose aux autres fonctions économiques « pures », comme la fonction capitaliste par exemple (1973, p. 40). L’utilisation de l’adjectif « pur » dans différents types d’expressions relatives à l’activité entrepreneuriale permet en effet à l’auteur de distinguer la fonction entrepreneuriale des autres fonctions que peut exercer un individu. Kirzner (1973, p. 17) reconnaît toutefois que la fonction entrepreneuriale n’est jamais exercée indépendamment des autres dans la mesure où un monde d’entrepreneurs purs serait une « pure économie d’échange », sans production ni capital ; autrement dit un non-sens, puisqu’il n’y aurait rien à échanger qui puisse être qualifié d’économique.

Mais Kirzner montre que l’activité entrepreneuriale et le calcul économique sont complémentaires. En effet, la découverte des opportunités de profit est un acte entrepreneurial, alors que l’exploitation de ces opportunités, celles-ci une fois connues, relève d’un calcul au sens de L. Robbins.L’analyse du marché en termes de processus permet d’étudier plus particulièrement la manière dont l’activité entrepreneuriale fournit de nouvelles informations aux participants au marché. Aussi la fonction entrepreneuriale est-elle rarement exercée isolément. Elle participe plutôt d’un faisceau d’actions économiques.

L’« entrepreneur pur » est donc une fiction théorique. Au même titre que les modèles imaginaires de Mises, elle n’a pas d’existence réelle, mais elle est utile pour comprendre le processus entrepreneurial. L’introduction de cette fiction permet « de parler d’un marché dans lequel tous les autres participants sont des agents robbinsiens qui économisent [economizers 353 ], sans aucun élément entrepreneurial d’aucune sorte ». La figure de l’« entrepreneur pur » permet d’expliciter la spécificité de l’action entrepreneuriale. Or, comme chez Mises, la spécificité de l’action entrepreneuriale réside dans son rôle d’arbitrage sur le marché. L’entrepreneur intervient sur le marché des inputs pour acheter là où le prix est le plus bas et vendre sur le marché des outputs là où les prix sont les plus hauts. La spécificité de l’arbitrage entrepreneurial réside alors dans le temps qui s’écoule entre le moment où interviennent les opérations d’achat et celles de vente.

Notes
353.

Nous préférons éviter de traduire « economizer » par maximisateur même s’il s’agit de la traduction généralement retenue. La périphrase « agents qui économisent » nous permet ainsi de conserver le sens d’« économiser » très proche du sens du terme « épargner ». Nous n’avons toutefois pas retenu le terme d’« épargnant » qui est généralement utilisé pour désigner le possesseur de capital.