1.2.2. Publicité et activité entrepreneuriale

L’activité entrepreneuriale renvoie très généralement à la découverte d’opportunités de profits jusqu’ici inconnues. En ce sens, l’élément entrepreneurial de l’activité du producteur est de ‘« discerner ce que le consommateur est prêt à acheter ou ce que le consommateur peut être persuader à acheter »’ (1973, p. 146).

Toutefois, l’activité entrepreneuriale ne se résume pas à une simple opération d’arbitrage. Pour que son action réussisse et que l’entrepreneur obtienne un profit, il faut qu’une condition supplémentaire soit remplie. En effet, il faut que les autres participants au marché ouvrent les yeux sur les nouvelles possibilités de satisfaire leurs besoins qui leur sont offertes. Ainsi, un entrepreneur qui mettrait en vente un nouveau produit, devra, afin d’en retirer un profit, faire connaître aux consommateurs l’existence de son produit sur le marché. De même, dans le cas où l’activité entrepreneuriale consiste à proposer un prix inférieur par rapport à ses concurrents sur le marché, il faut encore convaincre les clients potentiels qu’il est moins cher que ses concurrents. En ce sens, l’entrepreneur est au cœur du processus de diffusion de l’information. Non seulement il exploite des informations dont certains n’ont pas connaissance, mais il informe les autres participants au marché. La publicité et, plus généralement, les efforts de vente sont précieux en ce qu’ils informent les consommateurs de l’existence d’un produit qui répond à leurs besoins. Or, comme le note Kirzner (1973, p. 146) ce champ de l’activité économique a pendant longtemps été laissé aux gestionnaires et au marketing. Trop rares sont en effet les économistes qui se sont intéressés au phénomène de la publicité 362 . Les économistes considéraient en effet le plus souvent qu’en l’absence de la fourniture gratuite de cette information par le producteur, le consommateur cherche lui-même à acquérir cette information par d’autres moyens. Mais cette idée implique qu’il soit possible de dissocier la fourniture de l’information relative au produit de la fourniture de celui-ci. Or, affirmant se placer aux côtés de E. H. Chamberlin et de J. R. Hicks 363 , Kirzner (1973, pp. 153-155) considère qu’il faut aller encore plus loin que ces deux auteurs et reconnaître que la publicité a une fonction sociale liée à son aspect persuasif qui ne peut être séparé de son aspect informatif. La publicité appartient à l’activité entrepreneuriale 364 dans la mesure où elle constitue ‘« une forme différente d’effort de vente qui affecte la courbe de demande pour le produit offert à la vente » ’(1973, p. 155). On doit tenir compte du rôle de l’entrepreneur qui informe les consommateurs des opportunités disponibles, service qui en aucun cas ne peut être séparé de la fourniture du produit lui-même. En effet, il n’est pas possible de vendre un produit dont on ignore l’existence. Aussi, la connaissance liée à l’existence d’une opportunité doit être distinguée de la simple connaissance technique du produit.

En outre, Kirzner montre que l’information contenue dans la publicité doit être persuasive. En effet, le nombre des opportunités disponibles s’accroissant pour le consommateur, il est de plus en plus difficile de faire en sorte que celles-ci soient notées. L’obtention d’un profit dépend donc de la capacité de l’entrepreneur à persuader ses clients potentiels. L’attention entrepreneuriale se porte ainsi de plus en plus sur la communication avec le consommateur. Aussi Kirzner (1973, p. 163) conclut-il que ‘« plus une société est abondante, plus provocante, intrusive, violente, persuasive et envahissante est sa publicité »’.

On peut dès lors se demander s’il est encore possible de parler de « souveraineté du consommateur », dans la mesure où l’aspect persuasif de la publicité modèle fortement la demande de celui-ci. Dans la mesure où la publicité permet de pallier le manque d’information des consommateurs, seule leur demande, après diffusion de la publicité, permet une prise de décision efficiente. En effet, Kirzner (1973, p. 176) écrit : ‘« les seuls désirs des consommateurs qui puissent être considérés comme significatifs pour une discussion concernant l’efficience des décisions productives (…) sont ceux qui se manifestent après que les décisions de production aient placées les opportunités devant les consommateurs (de manière à s’assurer de leur attention) »’ 365 . Dès lors, seule la demande comprenant l’effet de la publicité doit être prise en compte par l’entrepreneur. Autrement dit, cet effet doit être intégré dans les anticipations des entrepreneurs, dans la mesure où elle fait partie intégrante de la fonction de demande des consommateurs. C’est d’ailleurs seulement dans ce cadre que la « souveraineté des consommateurs » s’exerce pleinement (1973, p. 177).

L’apport de Kirzner sur ce point est d’autant plus important que les théories de la concurrence parfaite et imparfaite, parce que centrées sur l’équilibre, considèrent que les efforts de vente sont uniquement caractéristiques de situations de concurrence monopolistique. Cette position ne pouvant plus être soutenue, l’explication du rôle joué par la publicité dans le processus entrepreneurial est d’autant plus intéressant. Le rôle de la publicité et plus généralement des efforts de vente appartient au processus entrepreneurial « normal » 366 , dans le sens où il appartient aux options disponibles pour l’entrepreneur pour réaliser ses projets. Selon Kirzner (1973, p. 165), leur rôle est de permettre de modifier le type d’opportunités disponibles sur le marché en modifiant : a) « le caractère des opportunités perçues par les consommateurs », b) « la vigilance des consommateurs vis-à-vis de ces opportunités » et enfin, c) « les goûts des consommateurs ». Par là, des opportunités nouvelles sont mises à jour et exploitées. La publicité n’appartient pas aux seules prérogatives de la concurrence monopolistique. En effet, dans la mesure où l’entrée reste libre sur le segment du marché considéré, seuls les efforts constants des entrepreneurs permettront de maintenir une activité répondant aux désirs des consommateurs.

Notes
362.

Parmi ces auteurs, Kirzner (1973, p. 151) cite A. Marshall, A. Pigou, ou N. Kaldor.

363.

Selon Kirzner (1973, pp. 153-154) E. H. Chamberlin remet en cause l’aspect purement scientifique de l’information fournie par les publicitaires insistant sur le caractère émotionnel de ces informations. Parallèlement, pour J. R. Hicks la publicité doit être attractive et persuasive. E. H. Chamberlin et J. R. Hicks refusent la ligne de séparation établie par la théorie de l’information entre les deux aspects de la publicité. Ces deux auteurs se séparent cependant dans la mesure où, pour J. R. Hicks, la persuasion est un moyen pour dispenser de l’information « scientifique » concernant les caractéristiques techniques du produit, alors que pour E. H. Chamberlin la persuasion permet de faire appel aux émotions des consommateurs, lesquelles constituent le moteur de l’activité économique.

364.

Kirzner développera ses idées dans deux articles consacrés à ce thème : (1972 et 1988b). Dès lors s’est ouverte une brèche dans laquelle n’ont pas hésité à s’avancer certains économistes de tradition autrichienne contemporaine. Nous pouvons ainsi souligner l’intérêt porté par D. Harper (1996) à la composante marketing des activités entrepreneuriales.

365.

Terme souligné par l’auteur.

366.

Notre expression.