1.2.1. Théorie du capital et entrepreneur

L’activité économique s’inscrit dans le temps et doit par conséquent être considérée comme un processus. De plus, de nombreux éléments peuvent intervenir au cours de ce processus : des changements inattendus peuvent apparaître et ouvrir de nouvelles possibilités aux agents économiques. Il s’ensuit, selon Lachmann (1956, p. 3), qu’‘« à tout moment, certains capitaux ne sont pas utilisés aux fins auxquelles ils étaient destinés au départ ’». Toutefois, un capital n’est pas, ou très rarement, employé isolément. Les capitaux sont employés conjointement et de manière complémentaire. Or, seules certaines combinaisons sont techniquement réalisables. Aussi, le premier rôle de l’entrepreneur est-il de choisir parmi les différentes combinaisons productives celles qui lui permettront de réaliser son plan de production. Ce choix de combinaisons productives, bien que souvent considéré comme donné, constitue une activité essentielle pour l’entrepreneur. Lachmann souligne que l’entrepreneur « doit dépenser beaucoup de temps et d’efforts à chercher quelles sont les « meilleures » combinaisons productives [best mode of complementarity] ». En ce sens, puisque chaque décision repose sur une interprétation, toute combinaison productive repose sur une anticipation quant au résultat que peut produire la combinaison productive choisie. L’activité de l’entrepreneur qui consiste à sélectionner une combinaison de production est donc spéculative.

Même lorsque l’entrepreneur parvient rapidement à un choix, le changement continu dans les circonstances le contraint à réviser son plan de production et plus particulièrement le choix de la combinaison productive. Lachmann (1956, p. 4) substitue ainsi le concept de « structure de capital » 421 à celui de « stock de capital ». Ce concept lui permet d’abandonner la définition « quantitative » du capital et de mettre l’accent sur le fait que la valeur du capital est affaire d’interprétation, c’est-à-dire de « spéculation ». La « structure de capital » se compose d’une variété d’éléments productifs ordonnés en fonction des fins que l’entrepreneur souhaite les voir remplir. La « structure de capital » observée correspond ainsi à l’ordre qui émerge de la confrontation des plans de production entre eux, mais aussi de la confrontation de ces plans avec ceux des consommateurs. Ainsi, ‘« de la poussée et l’attraction des forces du marché émerge finalement un réseau de plans qui détermine le modèle de l’utilisation du capital »’ (1956, p. 10).

Plus encore, Lachmann (1956, p. 14) refuse de considérer que l’activité de l’entrepreneur puisse être déterminée par l’expérience passée ; car ce « déterminisme » est contraire à l’« expérience courante ». La fonction de l’entrepreneur renvoie à la construction d’un plan de production et au choix des combinaisons productives qui se fonde sur des anticipations et un « diagnostic de la « situation » dans laquelle son action doit être entreprise » (1956, p. 15). Dès lors, l’analyse du processus par lequel les changements inattendus sont intégrés « présuppose l’étude des anticipations entrepreneuriales ». Les anticipations des entrepreneurs dépendant de nombreux facteurs, il s’ensuit que le résultat de l’activité entrepreneuriale ne peut être prédit avec certitude. Il n’est donc pas possible de considérer qu’il existe une tendance à la coordination des actions des individus, ou selon le vocabulaire microéconomique « usuel », qu’il existe un « équilibre » entre les divers plans d’action des individus. Le résultat de la confrontation des divers plans d’action dépend en effet des circonstances dans lesquelles se déroule le processus de confrontation.

Notes
421.

Pour une analyse des liens entre la théorie du capital de Lachmann et celle de Böhm-Bawerk et d’Hayek, nous renvoyons le lecteur aux propres commentaires de Lachmann (1956, pp. 11-12), mais aussi plus récemment aux travaux de P. Lewin (1994 et 1996).