UNIVERSITE LUMIERE-LYON 2
INSTITUT DE PSYCHOLOGIE
Enjeux culturels et psychopathologiques de la pratique de la thérapie mixte au Burkina Faso
THESE DE PSYCHOLOGIE – CLINIQUE
Thèse nouveau régime en vue de l’obtention du doctorat de psychologie.
Mention : psychopathologie et psychologie clinique
Sous la direction de René KAËS, Professeur émérite.
membres du jury
René KAËS, Professeur émérite de l’Université Lumière Lyon 2, Directeur de la thèse,
Alex LEFEBVRE, Professeur de psychologie à l’Université Libre de Bruxelles,
Jean-Bernard CHAPELIER, Professeur de psychologie à l’Université de Poitiers,
Bernard CHOUVIER, Professeur de psychologie à l’Université Lumière Lyon 2,
Francis MAQUEDA, psychologue psychothérapeute, Président d’Appartenances Lyon.
2 mars 2004

RéSUMé DE LA THèSE

La pratique de la « thérapie mixte », quelques soient les termes utilisés pour la désigner (nomadisme thérapeutique, errance thérapeutique, …) est un phénomène largement répandu au Burkina Faso et qui s’étend au-delà du champ de la psychopathologie.

Qu’elle s’inscrive dans une démarche individuelle et/ou collective, cette pratique consiste à recourir de manière simultanée ou successive à plusieurs offres de soins qui s’appuient sur des théories étiologiques, sur des références symboliques et sur des croyances bien distinctes. On distingue ainsi :

Dans un contexte marqué par la désagrégation des organisations traditionnelles et modernes, nombreuses sont les populations qui se trouvent dans « l’entre deux », entre un passé et des valeurs traditionnelles nostalgiquement idéalisés et les angoisses d’un avenir improbable tout en essayant de s’accommoder, plutôt mal que bien, des acquis de la modernité. Une modernité qui, bon gré mal gré, les engage, et contre laquelle ils se retournent souvent. Les conséquences d’une telle situation sont le retour des pulsions agressives, le resurgissement des angoisses archaïques, les accès de crise d’identité et de dépersonnalisation: toutes choses qui entraînent une psychopathologie des liens, qui constituent un frein à « l’œuvre civilisatrice » de l’humanité, une entrave au développement des sociétés et à l’épanouissement des individus.

Dans un tel contexte, la pratique de la thérapie mixte, m’est apparue comme un « bricolage » qui émane du génie des particularités culturelles propres à ces populations, dans un sursaut d’autoconservation de l’intégrité psychique de chacun et de l’identité culturelle des ensembles.

En effet, comment appréhender autrement l’émergence et la coexistence, dans l’espace et dans le temps, de systèmes de soins qui s’appuient sur de références symboliques et de croyances très différents, qui apparaissent très souvent dans un mouvement de syncrétisme, mais aussi comme des offres concurrentielles qui s’excluent mutuellement ?

Qu’est ce qui se donne à voir ou à entendre de la souffrance et de la dynamique psychique du sujet et/ou de celle de son groupe à travers les recours à ces offres et, surtout, lorsqu’ils prennent la forme d’un « zapping thérapeutique » ?

Que dire des points de fracture et de nouage entre générations, entre groupes naturels et groupes contingents, qui apparaissent comme autant de pôles de désinvestissement et d’assujettissement remettant en cause les pactes et les alliances narcissiques qui instituent, à la fois, la liberté des créativités singulières comme autant de particularités qui participent à l’épanouissement des individus et à l’enrichissement du patrimoine commun à tous ?

Ces différentes réalités m’amènent à m’interroger, d’une part, sur ma pratique : sur quoi fonder la légitimité de l’approche psychopathologique et l’identité du psychologue clinicien ? D’autre part, elles m’interrogent sur la fonction métapsychologique du registre socioculturel dans la formation de la psyché et du sujet et sur ses incidences dans la psychopathologie et dans l’interprétation de celle-ci à travers les différentes offres de soins présentes dans la pratique de la thérapie mixte.

Une telle entreprise commande, sans aucun doute, la prise en compte réelle de la singularité de ces différentes réalités, mais aussi de l’ « étrangeté » du vécu singulier de chaque patient, tel qu’il nous le transmet, et tel que je le ressens dans mes différentes consultations. Elle commande également la prise en compte de la vocation à l’universalité de chaque culture, c'est-à-dire, sa contribution à « l’œuvre civilisatrice » de l’humanité et dans sa totalité.

Ce faisant, je reste conscient que mon souci du respect de la singularité de ce contexte, m’amène, tant au niveau de la démarche méthodologique que de la démarche conceptuelle, à m’engager en dehors des sentiers traditionnels et à présenter un travail qui, pour le moins, peut apparaître différent d’un travail de « thèse classique ».

En effet, la métapsychologie freudienne, les concepts du contrat narcissique, du sujet du groupe et du sujet de l’inconscient et de l’appareil psychique groupal m’ont accompagné dans ma réflexion, comme autant d’outils précieux qui permettent l’investigation de ces réalités fort complexes. Cependant, et encore, faudra t-il que le lecteur et praticien, peu familier au contexte de ma pratique, comprenne et accepte la « singularité » de ma démarche qui, à bien des égards, peut apparaître comme un véritable écart à l’orthodoxie de la pratique et de la recherche.

Le souci du respect des réalités contextuelles du « terrain » de recherche m’amène également à engager le lecteur dans les méandres de l’histoire conjoncturelle des sociétés du Burkina Faso et dans des systèmes de représentations qui, a priori, semblent très éloignés de la pensée occidentale. Cet état de choses apparaîtra d’autant plus complexe au lecteur, qu’il ne m’a pas été toujours facile de trouver des équivalents, terme à terme, pour rendre les concepts de la langue « locale » qui traduisent ces différentes représentations. Les termes français que j’utilise pour en rendre compte, m’apparaissent souvent comme des « raccourcis nécessaires », mais peu satisfaisants dans mon effort de traduction. La compréhension de ce travail requiert sans doute beaucoup d’efforts de décentration et de patience dont je reste entièrement conscient.

Après une description du dispositif de la recherche et du contexte socioculturel de la thérapie mixte qui inclut la prise en compte de l’histoire conjoncturelle des sociétés actuelles, je m’attache à une analyse des fondements (culturel, social, religieux, etc.) des différents systèmes de soins, notamment traditionnels, syncrétiques et/ou religieux.

J’essaie ensuite, à travers des situations cliniques, de faire ressortir la signification des différentes offres de soins, aux niveaux psychologique, social, culturel ; de leurs interprétations de la psychopathologie, tout en prenant en compte leur utilisation par le sujet et son groupe dans la configuration psychique et dans la dynamique qui leur sont propres.

Enfin, j’espère que cet éclairage permettra, d’une part, de nourrir le débat sur la question du déterminisme de la fonction métapsychologique du registre socioculturel dans la formation de la psyché, du sujet ; de ses incidences sur la psychopathologie et dans l’interprétation de celle-ci et, d’autres part, de dégager des pistes de travail pour la poursuite et l’approfondissement de mon travail de recherche.

Avertissement

En nous engageant dans ce travail de thèse sur les enjeux culturels et psychopathologique de la pratique de la thérapie mixte au Burkina Faso, nous sommes conscient que nous empruntons un sentier inextricable et relativement peu exploré de la psychopathologie en Afrique Noire.

Bien sur, l’approche ethnopsychanalytique et ethnopsychiatrique est ancienne dans le champ de la psychopathologie en Afrique. Nous ne saurons donc ignorer qu’elle a largement contribué à « débroussailler » ce vaste champ et à la prise en compte des particularités culturelles dans la démarche clinique. Mais encore, faudra t-il accepter de se déprendre de l’orthodoxie de la pratique et introduire des modifications du cadre, modifications nécessaires pour que les patients de culture non occidentale puissent s’y retrouver sans trop d’ « étrangeté » et reconnaître à cette pratique une quelconque efficacité dans la résolution de leurs crises.

Dans un contexte marqué par la désagrégation des organisations traditionnelles et modernes, nombreuses sont les populations qui se trouvent dans l’entre deux, entre un passé et des valeurs traditionnelles nostalgiquement idéalisés et les angoisses d’un avenir improbable tout en essayant de s’accommoder, plutôt mal que bien, des acquis de la modernité. Une modernité qui, bon gré mal gré, les engage et contre laquelle ils se retournent souvent. Les conséquences d’une telle situation sont le retour des pulsions agressives, le resurgissement des angoisses archaïques, les accès de crise d’identité et de dépersonnalisation : toutes choses qui entraînent une psychopathologie des liens, qui constituent un frein à « l’œuvre civilisatrice » de l’humanité, une entrave au développement des sociétés et à l’épanouissement des individus.

Dans un tel contexte, la pratique de la thérapie mixte, nous est apparue comme un « bricolage » qui émane du génie des particularités culturelles propres à ces populations, dans un sursaut d’autoconservation de l’intégrité psychique de chacun et de l’identité culturelle des ensembles.

En effet, comment appréhender autrement l’émergence et la coexistence, dans l’espace et dans le temps, de systèmes de soins qui s’appuient sur des références symboliques et des croyances très différents ; qui apparaissent très souvent, dans un mouvement de syncrétisme, comme des offres concurrentielles qui s’excluent mutuellement ? Qu’est ce qui se donne à voir ou à entendre de la souffrance et de la dynamique psychique du sujet et/ou de celle de son groupe à travers les recours à ces offres et, surtout, lorsqu’ils prennent la forme d’un « zapping thérapeutique » ? Que dire des points de fracture et de nouage entre générations, entre groupes naturels et groupes contingents, qui apparaissent comme autant de pôles de désinvestissement et d’assujettissement remettant en cause les pactes et les alliances narcissiques qui instituent, à la fois, la liberté des créativités singulières comme autant de particularités qui participent à l’épanouissement des individus et à l’enrichissement du patrimoine commun à tous ? Dans cette dynamique générale de l’offre et de la demande, comment instaurer de véritables liens thérapeutiques ? Sur quoi fonder la légitimité d’une approche psychothérapeutique et l’identité du psychologue clinicien dans sa pratique quotidienne ?

La confrontation à ces différentes réalités nous amène à nous interroger, d’une part, sur notre pratique et, d’autre part, sur la fonction métapsychologique du registre socioculturel dans la formation de la psyché et du sujet et sur ses incidences dans la psychopathologie et dans l’interprétation de celle-ci à travers les différentes offres de soins, dans la pratique de la thérapie mixte au Burkina Faso. Une telle entreprise commande, sans aucun doute, la prise en compte réelle de la singularité de ces différentes réalités, mais aussi de l’ « étrangeté » du vécu singulier de chaque patient, tel qu’il nous le transmet, et tel que nous le ressentons dans nos différentes consultations. Elle commande également la prise en compte de la vocation à l’universalité de chaque culture, c'est-à-dire, sa contribution à « l’œuvre civilisatrice » de l’humanité et dans sa totalité.

Ce faisant, nous restons conscient que notre souci du respect de la singularité de ce contexte, nous amène, tant au niveau de la démarche méthodologique que de la démarche conceptuelle, à nous engager en dehors des sentiers traditionnels et à présenter un travail qui, pour le moins, peut apparaître différent d’un travail de « thèse classique ».

En effet, la métapsychologie freudienne, les concepts du contrat narcissique, du sujet du groupe et du sujet de l’inconscient et de l’appareil psychique groupal nous ont accompagné dans notre réflexion, comme autant d’outils précieux qui permettent l’investigation de ces réalités fort complexes. Cependant, et encore, faudra t-il que le lecteur et praticien, peu familier au contexte de notre pratique, comprenne et accepte la « singularité » de notre démarche qui, à bien des égards, peut apparaître comme un véritable écart à l’orthodoxie de la pratique et de la recherche.

Le souci du respect des réalités contextuelles de « notre terrain » de recherche nous amène également à engager le lecteur dans les méandres de l’histoire conjoncturelle des sociétés du Burkina Faso et dans des systèmes de représentations qui, a priori, semblent très éloignés de la pensée occidentale. Cet état de choses apparaîtra d’autant plus complexe au lecteur, qu’il ne nous a pas été toujours facile de trouver des équivalents, terme à terme, pour rendre les concepts de la langue « locale » qui traduisent ces différentes représentations. Les termes français que nous utilisons pour en rendre compte nous apparaissent souvent comme des « raccourcis nécessaires », mais peu satisfaisants dans notre effort de traduction. Nous sommes donc conscient de l’effort intellectuel, de décentration et de patience que requiert de la part du lecteur, la compréhension de notre travail. Nous lui témoignons, d’avance, toute notre reconnaissance.

GLOSSAIRE
Lexique des concepts et termes de la langue mõore (lire mõoré)

Bonnindé ou bonbandé : Créature bizarre, monstrueuse.

Kiimsé : Employé au pluriel, ce terme désigne le séjour (invisible) des esprits divins purifiés des ancêtres. Il peut désigner aussi un lieu concret, la case sacrée qui est la « domiciliation » dans un espace humain des esprits des ancêtres d’une même lignée familiale. Il (employé au singulier comme pluriel) est également traduit par fantôme au sens de revenant ou de spectre.

Kinkirga (plur. Kinkirsi) : Généralement traduit de manière impropre par génie. Plus qu’un mot c’est un concept complexe qui participe à la notion de la personne humaine et fort difficile à rendre dans la langue française. On le traduit également comme le double. Le même terme désigne également le jumeau.

Rapporté à la notion de la personne humaine, le kinkirga semble renvoyer à la question des origines. Un mythe mõagha raconte en effet que le kinkirga existait avant que Dieu ne crée l’Homme. Lorsque Wende créa l’Homme, il le mit dans l’espace qui était aussi celui du kinkirga. L’Homme et le kinkirga vivaient alors en bonne compagnie et en parfaite harmonie. Du fait de son antériorité, de son caractère immanent et impérissable, le kinkirga possédait l’intelligence de la vie, de la procréation. L’Homme, lui, avait l’intelligence de la gestion de la création, pour les faire fructifier selon le plan du Créateur.

Cependant, un conflit allait opposer l’Homme à son « alter ego » et les éloigner définitivement l’un de l’autre, du moins tangiblement. A la suite de ce conflit l’homme chassera le kinkirga et le refoulera dans les endroits inhospitaliers et difficilement accessibles.

Depuis ce temps, l’Homme perdit l’usage du langage du kinkirga qui lui devint invisible et directement inaccessible. Dans son retranchement, le kinkirga emporta le secret de la vie, de la procréation et de la prospérité. Invisible, il continuait à voir les hommes et les entendait. Particulièrement friand de certains mets que seule la femme de l’humain sait accommoder, le kinkirga côtoie l’espace de l’humain, sans que celui-ci ne s’en aperçoive. Il peut ainsi s’accrocher aux franges des vêtements de la femme qui le traîne ainsi jusque dans sa couche. Si la femme a un commerce sexuel avec l’homme, le kinkirga en profite pour se loger dans son sein, prendre une forme humaine et se laisser engendrer pour continuer à jouir des biens et des joies des catégories de l’humain.

C’est également depuis ce conflit que l’Homme fut obligé de créer des autels et d’instaurer des cultes pour y assigner, à résidence, le kinkirga des différentes catégories d’éléments en lui faisant des offrandes pour se le concilier et se le rendre favorable dans l’accomplissement de sa propre destinée.

Même si le kinkirga apparaît ainsi comme l’inséparable alter ego de l’Homme dans son existence humaine, il n’en est nullement le double comme certains ethnologues et anthropologues ont pu l’affirmer, qui plus est le kinkirga n’est pas spécifique à l’humain mais à toute créature vivante et même minérale (les collines, les arbres, les animaux ont tous un kinkirga).

Dans les faits, le kinkirga apparaît comme le principe qui renvoie à la singularité de chaque créature, à ce qu’il a de mystérieux, d’inconnu et qui est à l’origine de son existence. Le kinkirga apparaît donc comme intelligence immanente qui relève du pulsionnel, du non socialisé, du non humanisé qui est à l’origine de la vie de l’humain et qui s’étaie sur le corps biologique , le soma mais le transcende. C’est à peu près dans cette dernière acception que nous l’employons dans notre travail.

Mõagha, (plur: Mõose. Autres graphisme : Mossi) : Les Mõose, (lire mõosé), constituent le groupe ethnique majoritaire du Burkina Faso, plus de 45% de la population actuelle. Selon la tradition, les mõosé seraient les descendants de Wédraogo, fils naturel de yennega, princesse et fille unique de Nedga, roi du Dagomba (ancien royaume qui se situait au nord de l’actuel Ghana), et de Riare, un chasseur manding. Le roi Nedga refusait de marier sa fille malgré l’âge avancé de celle-ci. Pour échapper à cet « ostracisme » que lui imposait son père, la princesse se serait enfuie sur un étalon. Elle se perdit dans la « savane herbeuse » et fut recueillie par Riare. De cette rencontre naîtra un fils qu’ils prénommeront Wédraogo (littéralement : cheval mâle), en souvenir de l’étalon que la princesse avait chevauché pour s’enfuir. Yennega retournera chez son père après la naissance de son fils. Ce dernier recevra une éducation de prince, mais lorsqu’il fut devenu un jeune homme, le roi Nedga, son grand père le renvoya, lui donna une petite armée en lui disant de retourner dans le mõogho (littéralement : plaine herbeuse) pour construire son propre royaume. Selon certaines sources orales, c’est de là que découlerait le nom Mõose (littéralement, herbe) qui désignerait Wédraogo et les guerriers qui sont partis avec lui pour conquérir leur futur royaume, le mõogho. Ces conquérants se sont progressivement assimilés aux populations autochtones des territoires conquis par alliance et par inculturation. Actuellement le groupe ethnique mõagha regroupe l’ensemble des descendants de ces conquérants et des populations autochtones. Les Mõose regroupent donc, en réalité, plusieurs sous-groupes ethniques qui partagent, en commun et à quelques variantes près, la même langue et une histoire commune qui s’est progressivement forgée au cours des luttes de conquêtes.

Mõogho : C’est le territoire conquis par les Mõose. Par opposition au wéogo et par ethnocentrisme, le Mõogho désigne l’espace culturalisé, civilisé. Tout ce qui ne relève pas du Mõogho appartient à l’univers sauvage et inculte. Ainsi lorsqu’un Mõagha part en voyage, dans un pays étranger, on dit qu’il est parti dans le « wéogo ». De même celui qui est resté longtemps à l’étranger et qui s’est acculturé est considéré comme un « kõoswéogo » (littéralement : celui qui est resté longtemps en brousse)

Mõogho-nãba : Empereur des Mõose. Il règne sur plusieurs royaumes qui constituent leMõogho.

Nãba : Chef

Nakõombse : LesNakõombse sont les descendants de Wédraogo, des conquérants par opposition aux descendants des populations autochtones qui ont été conquises et assimilées comme des Mõose.

Neda : Personne humaine, Humain. Ce terme renvoie à la définition culturelle de l’être humain.

Nindé : Créature vivante

Ninsaala : Etymologiquement, ce terme dérive de nindé (créature) et de saalaga (ce qui est glissant et se dérobe). Il désigne l’être humain qui se définit comme une « créature éphémère et insaisissable ».

Pelga ou pelenga : Il s’agirait plus d’une instance que d’un principe. Il régule la respiration, le rythme cardiaque et constitue le siège du courage et des émotions. Ainsi, une forte émotion peut « emballer le pelga » et « troubler le siiga ». De même, on dira d’une personne très émotive ou continuellement anxieuse qu’elle a « le pelga troublé ». Une forte frayeur ou un grave traumatisme peut porter un grand coup au pelga et entraîner de sévères troubles neurovégétatifs et/ou psychosomatiques et même la folie.

Pugtênré : Il s’agit là également d’une instance associée au siiga et qui participe à la prise de conscience de soi et aux différentes prévenances et sollicitudes mutuelles propres aux catégories de l’humain. Ainsi, on dira d’une personne qui pose des actes de méchanceté gratuite ou des comportements antisociaux, sans fondement qu’elle n’a pas de « pugtênré » ou de siiga. Une telle personne est proche du fou et est sous le principe du kinkirga.

Rogem-miki : Traduit généralement par « tradition », leRogem-mikiest l’ensemble des règles qui régissent l’organisation sociale, politique, économique et religieuse des différents sous groupes Mõose. Nous préférons le traduire par l’ensemble des énoncés fondamentaux propres aux Mõose et à chacun des sous-groupes. Il y a donc le Rogem-mikipropre à l’ensemble des Mõose et le Rogem-miki propre à chaque sous-groupe ethnique Mõagha.

Siiga (plur. Siise) : Le siiga est souvent traduit par âme. Dans le contexte de notre travail on peut dire que le siiga apparaît comme la composante de la notion de la personne qui est spécifique à l’humain. Le siiga apparaît comme un principe d’animation vitale. C’est un force liante et régulatrice qui permet à une singularité humaine d’accomplir sa propre destinée, en s’inscrivant dans les catégories propres à l’humain. Si le kinkirga apparaissait comme une force qui relève du domaine du pulsionnel et de l’instinct et reste sous l’emprise des processus primaires, le siiga apparaît comme une force de liaison qui permet à l’individu d’accéder aux processus secondaires et tertiaires, de s’assumer pleinement et socialement comme sujet et membre d’une communauté humaine. On ne saurait cependant parler du siiga sans le siigré et sans le kinkirga.

Siigré : Le terme siigré peut renvoyer étymologiquement à trois réalités.

  • Siigré peut renvoyer au substantif qui signifie commencement au sens « originant" du terme.
  • Siigré peut dériver également du verbe qui signifie rencontrer, au sens où l’on a rendez-vous avec quelqu’un ou quelque chose en vue d’une intentionnalité particulière et bien précise.
  • Siigré peut se rapporter également à un objet concret. Il peut s’agir généralement de l’un des autels qui consignent le kinkirga à résidence.

Dans le contexte qui est le notre, le siigré apparaît à la fois comme l’espace métaphysique, transubjectif et le pacte où un kinkirga incarné, est assigné et circonscrit dans les catégories de l’humain. C’est l’opération rituelle qui participe à l’articulation du kinkirga et du siigré devant des représentants de la communauté et devant un garant mythique appartenant au monde de l’invisible et des ancêtres, le sigsõaba. Pour emprunter un raccourci au langage psychanalytique, on peut dire que le siigré est le contrat narcissique qui permet l’articulation de la satisfaction des besoins à la nécessité de réinscrire cette satisfaction dans les énoncés fondamentaux du groupe.

Sigsõaba : C’est le garant de l’opération de détermination du siigré, du contrat narcissique. Le sigsõaba est généralement un ancêtre provenant de la lignée paternelle ou maternelle de l’individu. Mais il semble qu’il peut arriver qu’il soit un ancêtre mythique qui n’appartient à aucune des lignées précitées. On peut également traduire le sigsõaba par « ancêtre tutélaire » tout comme on traduit souvent le kinkirga par « génie tutélaire », à ceci près que le sigsõaba joue un rôle de protecteur alors que celui du kinkirga est plus ambivalent.

Sũkõ (autre graphisme : suku): Ordre initiatique semblablement de même nature que le Yõyõore. Les détenteurs de cet ordre sont les Sũkõomse.

Ces deux ordres appartiennent aux Tẽng-n-bissi qui en sont les maîtres par la naissance. Ils se transmettent toutefois par initiation. Il semblerait cependant que les autres sous groupes ethniques Mõose qui ne sont pas des Tẽng-n-bissi peuvent accéder à ces ordres, sous certaines conditions. Les Tẽng-n-bissi peuvent détenir à la fois ces deux ordres : c’est le cas des Sũkõ- Yõyõose.

Tempelem : esprit divin incarné dans la Terre mère et « domiciliation » des kinkirsi de la terre. Le Tempelem a une dimension universelle mais se décline en territorialités spécifiques à chaque groupe humain.

Tẽng-n-bissi (littéralement les fils du terroir): Par opposition aux Nakõombse qui sont les descendants des conquérants, lesTẽng-n-bissi sontles descendants des populations autochtones. Si les premiers détiennent généralement le pouvoir politique et militaire, les seconds, les Tẽng-n-bissi, sont investis du pouvoir religieux et sont maîtres des Tẽense (culte de la terre très redoutable) et assurent ainsi, dans l’administration traditionnelle du Mõogho, un contre-pouvoir au politique et au militaire.

Tẽenga : C’est la terre. Les Tẽense se rattachent à des objets concrets, généralement désignés de manière impropre comme les fétiches de la terre. En réalité les Tẽense se rapportent au culte, aux pouvoirs mystiques liés à l’esprit de la Terre Mère.

Tenkuuga : Autels domiciliant les kinkirsi des collines, des rivières, des éléments de la catégorie du minéral.

Tiisé : autels domiciliant les kinkirsi des éléments de la catégorie du végétal.

Wenna : Autels des principes divins purifiés des aïeuls ayant accompli leur destiné humaine de manière exemplaire et « canonisés » ancêtres après leur mort. Ce sont pour ainsi dire des lares familiaux.

Wẽnnãam : Dieu unique, créateur de l’univers visible et invisible. Il se démarque cependant du Dieu judéo-chrétien. En effet, dans la pratique religieuse traditionnelle, l’homme ne s’adresse pas directement à Dieu. Dieu a mis en chacune de ses créatures un part de sa Divinité. Le rapport de l’homme à Dieu est conditionné par la recherche de l’harmonie entre ses différentes créatures. Chaque créature contient donc en lui le Wẽnde (lire Wẽndé, autre nom de Dieu, mais qui rapporté à une créature vivante désigne le principe divin en lui). En recourrant donc à des intermédiaires dans sa relation à Dieu, le Mõagha ne se pose pas en « idolâtre qui divinise tout » mais essaie de rencontrer Dieu, dans la recherche d’une certaine harmonie de toute la création par la communion au principe divin que Dieu a placé en chacune de ses créatures. Dans la « théologie mõagha », Wẽnnãamou Wẽnde se différentie du Dieu judéo-chrétien, en ceci qu’il n’a pas d’adversaire. Satan ou le diable n’existe pas en effet dans les croyances du Mõagha. Dans ces croyances, la dialectique du bien et du mal ne se pose pas en terme de dualité. Dieu est foncièrement bon, ami de l’humanité et de la création, mais il laisse à chacune de ses créatures le choix du bien et du mal. Il ne les juge qu’au terme de leur « parcours terrestre ». Les forces cosmiques sont naturelles mais peuvent être exploitées pour le bien comme pour le mal. La relation à Dieu, à son semblable et à toute la création repose donc sur la quête d’une certaine forme d’harmonie de toute la création au service du bien et de la vie. Le bien comme le mal sont les deux faces d’une même réalité présente en chacune des créatures, en occurrence les humains. L’homme est donc entièrement responsable du bien comme du mal qu’il peut faire et est rétribué en fonction de ses propres actes.

Wéogo : La brousse

Yinga : Le corps

Yintãando : Littéralement « corps terreux ». C’est le corps biologique. Au stricto sensu, c’est le soma.

Yõyõore (autre graphisme : gnongnoré, nionionré) : Ordre initiatique qui s’apparente à une société religieuse sécrète. Il confèrerait à ses adeptes, les Yõyõose, des pouvoirs mystiques incommensurables à caractère offensif et défensif.