II. JUSTIFICATION DE L’éTUDE – PROBLéMATIQUE – CADRE DE LA PRATIQUE

1. JUSTIFICATION DE L’ETUDE

La pratique du zapping thérapeutique, quels que soient les termes utilisés pour la désigner (thérapie mixte, nomadisme thérapeutique, errance thérapeutique,…), est un phénomène qui semble avoir toujours existé dans les sociétés burkinabé et dont la portée s’étend au-delà du cadre particulier de la santé mentale.

Son origine remonterait à la période coloniale, à la rencontre des cultures des sociétés d’Afrique Noire avec l’Occident, et à l’implantation progressive de la médecine moderne qui les a accompagnées. Avant cette période, on peut dire qu’il existait seulement plusieurs offres de soins et un seul système, le système traditionnel. Les populations recourraient à ces différentes offres en fonction de la réputation et de l’efficacité des thérapeutes tout en restant à l’intérieur du même système.

La pratique du zapping thérapeutique a surtout connu son ampleur actuelle au Burkina Faso, à partir de 1980 environ, avec l’émergence de plus en plus massive de ce que nous avons désigné sous le terme de système de thérapies religieuses et/ou syncrétiques.

Les années 80 ont surtout été marquées au Burkina Faso par l’avènement de la Révolution Démocratique et Populaire (R.D.P.) et le malaise social qui l’a précédée. Cette Révolution a entraîné de nombreux bouleversements et remises en cause des habitudes, des mentalités et de l’organisation sociale, culturelle, religieuse, politique et économique du pays et de toutes ses sociétés. A travers les mots d’ordre, les slogans, les injonctions politiques et idéologiques du « rejet de l’impérialisme, du colonialisme, du néocolonialisme, de leurs valets locaux, de l’obscurantisme religieux et de la féodalité », de l’incitation à « consommer ce que nous produisons » et à « libérer le génie créateur » pour la construction d’une société nouvelle ; c’est l’ordre établi et les institutions traditionnelles qui ont connu un véritable séisme. L’onde de choc s’est propagée jusqu’aux changements du nom du pays, du drapeau, de l’hymne national, des armoiries, à un nouveau re-découpage géographique et administratif du pays. De la famille aux grandes institutions, aucune n’a été épargnée.

Les églises, les temples et les mosquées eux-mêmes, n’ont jamais été si près d’être reconvertis en théâtres populaires et en « Permanence des Comités de Défense de la Révolution ».

Entre capitalisme néo-libéraliste, marxisme léniniste et dialectique rugissants, du panthéon des religions ancestrales à celui des religions importées, on peut affirmer que le peuple ne savait vraiment plus à quel saint se vouer.

Ainsi, durant les années 80 et à travers l’avènement de la R.D.P., le Burkina Faso, alors Haute Volta, a connu les plus grands séismes de sa jeune existence d’État et de Nation indépendants. On peut cependant souligner que la Révolution n’a réussi qu’à exacerber une crise et un malaise qui couvaient et existaient déjà dans un état de latence, avant de sombrer corps et biens dans la violence, laissant après elle une situation non moins complexe.

Cette digression nous permet de resituer le contexte historique qui, nous semble-t-il, a opéré comme un catalyseur dans l’émergence du phénomène qui fait l’objet de notre étude.

Ces événements des années 80 sont concomitants à une situation de crise généralisée ; vingt (20) ans après la fin de la colonisation et l’accession aux indépendances : crise d’identité à travers la nécessité de construction d’un État-Nation par la fédération des sociétés traditionnelles, des entités ethniques et culturelles aux sensibilités différentes ; crise dans la mise en place d’un projet de société pour garantir un avenir économique et politique à une jeune nation ; crise dans la rupture des liens sociaux traditionnels à travers de nouvelles affiliations religieuses, appartenances politiques et la quête de nouvelles formes de solidarités sociales et économiques.

Dans cette situation de crise généralisée et parallèlement au phénomène du zapping thérapeutique, deux autres phénomènes émergeaient en force :

  • Face à ce malaise, une nouvelle race de guérisseurs traditionnels, voyants, marabouts et mages africains et orientaux s’est constituée en un puissant lobby économique qui s’exporte même jusqu’aux boîtes à lettres des populations occidentales, à travers leurs multiples réclames. Tout le monde semble potentiellement concerné. Les riches et les puissants pour consolider et maintenir leurs positions, préserver leurs acquis et se prémunir des attaques envieuses des crève-la-faim et des gavroches frondeurs et gouailleurs. Les moins nantis s’y emploient pour forcer la main de dame fortune. Qui encore y recourt pour quêter le retour de l’être aimé et perdu, le grand amour de la vie qui n’arrive toujours pas ou pour lutter contre le stress et les asthénies de tous genres. Ces différentes pratiques sont souvent considérées à tort comme autant de recours aux systèmes de thérapies traditionnelles. Si nous les prenons en compte dans notre étude, nous ne les intégrons pas dans les différents systèmes de soins. En effet, nombreux sont les thérapeutes traditionnels qui ne voient dans ce phénomène que des pratiques intéressées qui relèvent plus de l’occultisme, du charlatanisme, de l’escroquerie et les récusent en tant que telles.
  • L’autre phénomène est la facilité de plus en plus croissante avec laquelle des organisations, à caractère extrémiste, sectaire et fondamentaliste, ethnique, politique et religieux, cooptent et enrôlent des individus, souvent les plus vulnérables, qui y trouvent un succédané du remède à leur mal-être.

L’existence de ces deux phénomènes à côté du zapping thérapeutique ne fait que justifier davantage et confirmer notre choix de le constituer comme objet d’étude.

En effet, dans ce contexte général, le phénomène du zapping thérapeutique nous apparaît de plus en plus comme le symptôme et l’épiphénomène d’une crise plus profonde qui s’étend au-delà des préoccupations sur la santé. Il interroge, d’une part et d’une manière générale, les capacités des institutions actuelles à offrir aux populations (groupes sociaux, communautés humaines et individus) un environnement suffisamment sécurisant pour leur développement et leur épanouissement, dans le monde moderne. D’autre part et dans le cadre plus précis de la santé mentale, il interroge les capacités et les difficultés des systèmes de soins à proposer aux individus et aux communautés des dispositifs de soins congruents à leurs problématiques existentielles et des espaces suffisamment étayant pour contenir et permettre une élaboration symbolique de leurs angoisses et inquiétudes.

A ce titre, il mobilise et suscite l’intérêt des spécialistes en sciences humaines et sociales et plus particulièrement des chercheurs et des thérapeutes dans le domaine de la santé mentale.