2. PROBLÉMATIQUE DE LA RECHERCHE

Des études ont déjà été réalisées sur le phénomène du zapping thérapeutique, dans le domaine de la santé mentale et en termes d’itinéraire thérapeutique. 8 Toutefois, nous pensons que l’objectif de ces études n’était pas l’approfondissement de la problématique et de la dynamique culturelle et psychique qui sous-tendent ce phénomène. Ces études ont été surtout menées en référence au taux de fréquentation des structures de soins modernes et en rapport avec les questions d’accessibilité géographique et du coût des soins. L’hypothèse généralement avancée est que les patients et leurs familles préféraient recourir à des offres de soins géographiquement accessibles et moins onéreuses en fonction de la gravité du mal et de leurs moyens financiers. Ils ne recourent alors aux structures de soins modernes que dans les cas d’extrême urgence où la vie du patient est menacée ou lorsque celui-ci devient trop dangereux pour son entourage, dans les cas psychiatriques.

D’autres travaux relèvent cependant la dimension anthropologique du phénomène. La population recourrait généralement aux structures de soins modernes pour leur efficacité médicale mais s’adresserait volontiers aux structures de soins traditionnelles pour rechercher le sens du mal qui les frappe et se prémunir contre son éventuel retour. 9

Dans tous les cas, on parlait alors invariablement de thérapies traditionnelles, de prières de guérison, d’errance thérapeutique, de nomadisme thérapeutique ou encore de thérapie mixte qui est le terme le plus usité pour désigner ce phénomène.

Cependant et compte tenu du rapport efficacité/coût qui n’échappe pas aux patients et à leurs familles, et du fait que nombreux sont ceux qui recourent simultanément à plusieurs offres de soins dans des systèmes différents, nous avons pensé qu’une discrimination plus fine était nécessaire pour mieux cerner les enjeux culturels et la dynamique psychique, dans leurs rapports mutuels, qui sous-tendent ce type de démarche thérapeutique.

Ainsi, dans notre étude, nous désignerons par le terme de thérapie mixte, la démarche qui consiste à recourir simultanément à des offres de soins appartenant à des systèmes différents. Le terme de nomadisme thérapeutique se réfèrera plus alors à la démarche qui consiste à recourir successivement à plusieurs offres de soins quel que soit le système auquel elles appartiennent. Il se pose, dans ce cas de figure, une seconde problématique qui concerne la dynamique qui sous-tend le passage d’une offre à l’autre à l’intérieur du même système et celle qui sous-tend le passage d’un système à l’autre dans l’offre globale des soins.

Cette discrimination articule au moins trois niveaux logiques différents sur la manière de cerner la problématique du phénomène :

  • les recours simultanés à des offres appartenant à des systèmes différents qui s’inscrivent souvent dans une démarche individuelle et/ou groupale ;
  • les recours successifs à plusieurs offres à l’intérieur d’un même système ;
  • le passage à sens unique ou à double sens d’une offre à l’autre dans des systèmes différents.

Du point de vue de notre objet d’étude, ces différents niveaux logiques et épistémologiques permettent une meilleure mise en perspective de la problématique.

  • Le premier niveau nous semble, en effet, s’inscrire dans une préoccupation groupale. « L’un de nous est malade et nous sommes venus pour le soigner » ou encore « notre maladie n’est pas une maladie pour ce lieu de soins. » Ainsi s’expriment souvent les accompagnants du patient. Ces formules désignent le malade mais aussi, et dans une certaine mesure, la souffrance de toute la communauté à travers la maladie d’un de ses membres. Ce niveau de démarche appartient au « nous » et pose, à travers le recours à des systèmes de soins différents, la question de la fonction métapsychologique du registre socioculturel assumé par les théories étiologiques, les références symboliques et les croyances qui sous-tendent et légitiment les pratiques thérapeutiques des différents systèmes.
  • Le second niveau renvoie plus à la problématique du sujet singulier. Il interroge à la fois les capacités du patient à nouer et à maintenir des liens suffisamment investis et la quête d’un espace où le « je » peut se dire dans sa souffrance, être entendu et reconnu comme tel et les conditions que doit réunir le cadre thérapeutique pour cela.
  • Enfin, le troisième niveau problématise les questions soulevées par les deux niveaux précédents. Il interroge la potentialité de l’institution thérapeutique à introduire une fracture entre le « nous » et le « je », entre liens trouvés et liens créés. A travers la quête d’un système de soins congruent, c’est la question de la réalité endopsychique et des liens intersubjectifs et transubjectifs qui est posée dans leurs rapports mutuels et celle de la recherche de l’espace où le « je » peut advenir sans être en rupture avec le « nous » et, par-là même, se mettre en danger.

Notes
8.

- C.A.M.E.S, (1977), Médecine traditionnelle et pharmacopée africaine, Troisième colloque du C.A.M.E.S, Ouagadougou, C.A.M.E.S, 1977.

- BADIEL O.F. (1987) Aspects thérapeutiques traditionnels et pathologies mentales, Mémoire pour l’obtention du diplôme d’initiation à la psychopathologie, Université Cheik Hanta DIOP, Dakar, 1987.

- SYRANYAN S. (1988), Étude des itinéraires thérapeutiques empruntés par les malades mentaux, Thèse d’Étatde docteur en médecine, Université de Ouagadougou.1988.

9.

On peut citer entre autres :

- BONNET D. (1982), Corps biologique, corps social. Les Mossi de Haute-Volta, Thèse pour le doctorat de 3ème cycle, Paris, E.H.E.S.S., 340 p.

- ORSTOM (1981-1982), La cure comme mythe. Le traitement de la maladie et son idéologie à partir de quelques exemples Ouest- africains, in  Médecine et Santé, cahiers de l’ ORSTO, Vol. XVIII n°4, 1982, pp. 415-421

-FAINZANG S. (1986), L’intérieur des choses. Maladie, divination et reproduction sociale chez les Bissa du Burkina, Paris, L’Harmattan, 1986, 204 p