1.3. De l’influence des groupes d’appartenance sur la démarche thérapeutique et le choix des systèmes de soins

Lorsque l’on s’intéresse aux pratiques de soins en Afrique Noire, plus particulièrement au Burkina Faso et quel que soit le système de soins auquel se réfèrent ces pratiques, on est immédiatement pris dans un univers qui rassemble autour du corps souffrant, du sujet, les parents, les amis, les ancêtres et les esprits ; c’est-à-dire un corps social et mystique. Au-delà de notre pratique, ce constat se confirme et s’élargit aux différentes structures de soins et de prise en charge avec lesquelles nous collaborons.

Il n’est pas rare, en effet, que des familles quittent les services d’hospitalisation avec leur patient, estimant que « leur maladie ne relève pas de ce type de soins » ou disant encore que « leur maladie n’est pas une maladie pour ce type de structure » et ce, malgré l’avis du corps médical. De même, les familles et/ou les proches du patient peuvent décider d’administrer un traitement traditionnel à « leur » patient sans en informer le médecin traitant. Le patient peut être soustrait discrètement et temporairement de l’hôpital pour des « soins externes » ou des prières de guérison quand ces soins et prières ne se font pas directement dans les structures hospitalières.

Dans le cadre particulier de nos consultations, des patients arrivent parfois seuls, sans accompagnant, en nous affirmant que leurs familles et proches ne sont pas informés de leur démarche et qu’ils préfèreraient, si nous le pouvons, que nous fassions tout pour éviter de les en informer. Il se révèlera souvent et assez rapidement, à travers les récits de ces patients, qu’ils sont pris dans des conflits d’individuation, de séparation et dans de nouvelles affiliations et appartenances qui les opposent à leurs familles et communautés d’origine.

De même, il arrive que des parents ou des communautés nous amènent un des leurs en nous mettant littéralement en demeure de le soigner, estimant que sa pathologie ne fait aucun doute pour eux, alors que ce dernier refuse de reconnaître la pathologies et estime être plus la victime d’intrigues et de conflits familiaux ou communautaires. « Ce sont plutôt eux qui ont besoin d’un psychologue » dit-il souvent. Dans ce cas, il arrive parfois qu’un autre membre de la communauté ou de la famille revienne nous voir pour « parler » d’un dysfonctionnement qui concernerait plus l’ensemble que l’individu.

Mais, quel que soit le cas de figure, nous pouvons dire que le patient n’est jamais seul lorsqu’il pénètre, accompagné ou non, dans la salle de consultation. Au-delà de l’histoire du patient, l’espace thérapeutique s’élargit presque toujours de celles de ses proches, de sa famille, de sa communauté et même de toute l’histoire du monde. Il se trouve ainsi parcouru par des problématiques singulières, intrapsychiques, intersubjectives et transubjectives qui s’interpénètrent et s’entrechoquent.

De telles situations nous ont progressivement amené à modifier l’aménagement du cadre thérapeutique. En effet, il nous est apparu nécessaire, sans pour autant renoncer au colloque singulier, que le seul moyen de garder une attitude thérapeutique dans ces différentes situations consistait à décentrer notre écoute sur un objet qui contient le sujet tout en gardant une attitude clinique qui consiste à maintenir, malgré tout, l’objectif focal sur la problématique du sujet singulier.