1.4. De la confusion des différents modèles de soins aux difficultés d’investissement du cadre thérapeutique

Un autre constat nous a beaucoup interrogé sur les difficultés des patients à nouer des liens et à investir suffisamment le cadre pour l’établissement d’une véritable relation thérapeutique. Il s’agit de la confusion souvent entretenue entre les différents modèles de soins. Dans les récits sur leurs démarches thérapeutiques, nombreux sont les patients qui affirment avoir déjà recouru aux systèmes de soins traditionnels alors qu’il n’en est rien. En fait, il apparaît que les patients et leurs familles ne savent pas ou ne savent plus faire la différence entre les thérapies traditionnelles et les nouvelles offres qui relèvent plus de l’occultisme et du charlatanisme. Ils entretiennent ainsi, ou sont confrontés à, une confusion entre les thérapies traditionnelles et de nouvelles offres conjoncturelles, pourtant décriés par les premières. De même, il existe souvent une confusion manifeste entre les prières de guérison, les exorcismes officiellement reconnus et admis par les différentes Églises traditionnelles et des offres d’un nouveau genre qui relèvent plus des syncrétismes religieux avec les nombreuses dérives sectaires qu’ils comportent.

Dans le cadre de notre pratique, le lien thérapeutique reste toujours bancal, non pas que le patient ait du mal à respecter le cadre, mais bien plus, une confusion manifeste demeure entre les autres modèles de soins connus du patient et le cadre plus spécifique de la prise en charge psychologique. Il arrive ainsi que le patient veuille établir le lien sur le modèle de son rapport au médecin, au tradithérapeute, au guide spirituel ou au conseiller religieux. Le transfert s’établit d’abord et plus, à partir des figures du devin, du prêtre, du pasteur de l’exorciste, du marabout ; sur des stéréotypes culturels que sur la dynamique de la problématique psychique.

Le modèle psychothérapeutique apparaît ainsi, dans sa spécificité, comme une institution récente, peu différenciée et peu connue dans ses fondements comme outil de soins. Une des conséquences de cette situation est que nous sommes souvent amené à repréciser le cadre au patient qui, manifestement, éprouve des difficultés à se l’approprier et à l’intégrer comme un méta-dispositif qui ne relève pas du seul arbitraire du thérapeute, mais comme l’ossature même qui sert de support au travail d’élaboration et de mise en sens de ce qui peut se jouer et se dire dans l’espace thérapeutique.

De fait, à cause de l’ignorance ou de la méconnaissance des « règles du jeu », l’interprétation et le maniement du matériel psychique produit dans l’espace thérapeutique s’avèrent très délicats. La mise en sens de ces productions contient alors et presque toujours, une forte potentialité de violence et de persécution. Cela relève du fait que l’interprétation et la mise en sens que peut proposer le thérapeute restent intimement liées au cadre et s’appuient sur les références théoriques et conceptuelles propres à sa « science ». Dès lors que les productions du patient le sont dans l’ignorance ou la méconnaissance des « règles du jeu » et s’appuient sur des représentations et des références symboliques autres, toute tentative de mise en sens et en liens devient caduque et suscite davantage de résistances qui se signent souvent par une montée des angoisses de type schizoparanoides.

Au-delà du cadre de notre pratique, nous pensons que ce constat interroge plus généralement la congruence du dispositif thérapeutique avec les différentes problématiques qui sous-tendent la démarche du patient et en lien avec les différents systèmes de représentations symboliques, les références théoriques et conceptuelles sur lesquels se nouent les problématiques du sujet et sur lesquels s’appuie la pratique du thérapeute. Qu’est-ce qui est en souffrance chez le sujet singulier ? Quels liens existent-ils entre cette souffrance, ses représentations symboliques et croyances, ses différentes affiliations et appartenances ? Qu’est-ce qui va être traité ? Dans quel cadre va-t-il l’être et dans quelles conditions ?

Pour notre part et dans le cadre de notre pratique, nous pensons qu’une double décentration s’impose. C’est-à-dire qu’en plus de la décentration de l’écoute, dont nous avons fait cas précédemment, une autre décentration qui concerne cette fois-ci le rapport du thérapeute à ses propres outils (théories étiologiques et références conceptuelles qui guident sa pratique), est nécessaire, si on veut éviter que le cadre et la relation thérapeutique soient investis dans une trop grande ambivalence, comme objets convoités mais narcissiquement persécuteurs, par le patient, ses proches et sa communauté et ne compromettent ainsi l’établissement et le maintien du lien thérapeutique.