2.2. Echec de la stratégie missionnaire et messianisme des groupes de thérapies religieuse et /ou syncrétiques et des nouvelles églises de guérison

Du fait que l’émergence des groupes de thérapies religieuses et syncrétiques s’accompagne souvent de la création d’Églises parallèles en marge des Églises chrétiennes traditionnelles, ils peuvent apparaître comme des formes d’inculturation ou d’animisation des nouvelles religions ou encore comme des formes subtiles de résistance à la domination de la civilisation judéo-chrétienne.

Cependant, dans la perspective de notre travail on peut dire que l’émergence et l’enracinement populaire des nouvelles églises œcuméniques en marges des Églises traditionnelles, des sectes chrétiennes d’obédience protestante et des églises de guérison ou encore des groupes de thérapies religieuses et syncrétiques apparaissent comme autant de formations transubjectives qui émanent de la créativité populaire et qui visent à instaurer de nouvelles formes d’harmonies et de solidarité en essayant de colmater les fractures sociales, les béances narcissiques et les brèches identitaires liées au choc des cultures, par le biais du syncrétisme et d’une « idéologisation » du messianisme chrétien.

En effet écartelés, pris dans des choix cornéliens, entre leur désir de ne pas couper les attaches avec leurs communautés de base (famille de sang), les racines de leurs traditions qui fondent leur identité et le soucis d’éviter des compromissions pouvant entraîner des conflits existentiels avec leur nouvelle Foi (famille de foi), nombreux sont les convertis, y compris une bonne partie du clergé, qui se sont sentis trahis et abandonnés par l’intransigeance des Eglises-Mères.

C’est dans ce contexte qu’apparaissent, avec une certaine inflation, les groupes de thérapies religieuses et/ou syncrétiques et les églises de guérison.

Cette situation constitue un réel problème, notamment pour l’Eglise Catholique Romaine beaucoup plus centralisée. En cela, nous pouvons nous référer aux propos du père KOUMALGO J.K., professeur de Bible à l’Université Catholique d’Afrique de l’Ouest à Abidjan (UCAO) :

Le lecteur pourra voir, dans les situations cliniques que nous rapportons, comment ces propos et problèmes se retrouvent à des niveaux différents dans les cas de Chris, Martine, Justine et Benjamin.

On peut cependant dire que, face à ces graves problèmes de l’existence, l’Eglise a essayé d’apporter une réponse en recourant à ses propres moyens traditionnelles que sont la prière, l’onction des malades et l’exorcisme.

C’est aussi dans ce contexte que vont émerger les groupes de thérapies religieuses et/ou syncrétiques et les nouvelles églises de guérison,sur fond de ruptures, de crise d’identité et de dépersonnalisation. Sur ce sujet, on pourra lire avec intérêt l’article de J. Le Roy sur les « processus thérapeutiques groupaux dans les églises de guérison à Kinshasa, Zaïre » 23 Dans son analyse, J. Le Roy formule l’hypothèse que :

Il soutiendra à la fin de cet article que ces églises peuvent proposer entre autre :

Nous voudrions relater ici quelques observations que nous avons réalisées depuis les années 80, plus précisément à partir d’octobre 1984 sur un groupe que nous avons suivi sur plus d’un an. Nous n’étions pas encore psychologue et nous, nous intéressions seulement à certaines formes de pratiques religieuses qui nous apparaissaient assez curieuses et préjudiciables à l’orthodoxie de la religion chrétienne. Ce que nous relatons apparaît donc plus comme une rétrospective, dans l’après-coup, de ce que nous avons observé à la lumière de nos recherches ultérieures sur les groupes de thérapies religieuses et/ou syncrétiques.

Ce groupe émergeait difficilement dans le contexte des bouleversements sociaux, politiques, économiques et culturels tel que nous l’avons décrit dans la première partie de notre travail.

Notre rencontre avec ce groupe s’est faite de manière fortuite, à travers ce que nous qualifierons « d’événement fondateur » de notre intérêt pour les groupes de prières de guérison, de thérapies religieuses et/ou syncrétiques, qu’ils soient d’obédience catholique ou protestante.

Le groupe dont il est ici question appartenait au Mouvement du Renouveau Charismatique Mondial (MRCM) qui venait de faire son apparition dans l’Église catholique burkinabé. L’objectif premier de ce Mouvement, il faut le reconnaître, était loin d’être les prières guérisons et de délivrance. Il reposait sur des pratiques religieuses qui s’apparentaient plus au culte des Églises protestantes traditionnelles, par une référence essentielle à « l’immersion » de tous les fidèles par l’action de l’Esprit saint qu’ils avaient reçu tous en plénitude sans distinction de leur rang, selon l’ordre hiérarchique de l’Église Catholique Romaine. C’était plutôt un Mouvement révolutionnaire dans l’esprit du Catholicisme Romain.

Son accueil dans la communauté catholique burkinabé était plutôt mitigé. Autant il suscitait une forte affluence et un engouement tout particulier auprès des fidèles laïques, autant il suscitait plutôt la méfiance, voire une certaine défiance de la part des autorités hiérarchiques de l’Église catholique. Cette position de la hiérarchie, loin de refroidir le mouvement, semblait plus le galvaniser et lui donnait des ailes.

Les Bergers et les bergères, c’est ainsi que l’on désignait les « dirigeants » des groupes du MRC, et les nouveaux adhérents avaient sans doute perçu un défi dans la position de la hiérarchie et nombreux l’interprétaient comme une « résistance » à croire en la « plénitude de l’Action de l’Esprit Saint sur tous les fidèles ». Les Bergers étaient choisis parmi les membres du groupe après le jeûne, le discernement et l’invocation de l’Esprit Saint.

L’ardeur du MRC se trouvait décuplée, tirant une légitimation de l’affluence de plus en plus massive des fidèles, des témoignages et des conversions de pécheurs, de délivrance des possédés et des guérisons miraculeuses de malades. Les membres du groupe se réunissaient ainsi dans une sorte d’assomption jubilatoire de la première Pentecôte pour rendre grâce à Dieu, à travers la déclamation des louanges. On y invoquait l’Esprit Saint etes personnes recevaient la guérison du cœur, d’autres, la guérison du corps. D’autres personnes recevaient enfin l’Esprit en plénitude et il s’en suivait de grandes effusions à travers les dons de prophétie et de « parler en langues ».

Il y avait dans le Mouvement, un enseignement et une sorte « d’initiation » de la Bible. La solidarité y était grande et expressive. Les personnes qui présentaient des « problèmes » particuliers et qui le souhaitaient pouvaient bénéficier de séances de prières en groupe restreint autour du Berger et de certaines personnes qui avaient reçu « l’immersion de l’Esprit ».

Le Mouvement du Renouveau Charismatique prenait ainsi pied au Burkina, sur fond « d’arrogance et de provocation » qui laissaient plus voir une croissance en pleine adolescence qu’une véritable subversion au sein du Christianisme Romain au Burkina. On pouvait croire cependant que cette dimension n’était pas totalement absent du Mouvement et pourrait relever de causes beaucoup plus profondes et générales dans l’organisation et la structuration même du Catholicisme Romain et de causes plus spécifiques à l’Église Catholique du Burkina.

L’événement que nous avons qualifié de fondateur est survenu durant un mois d’octobre, mois du rosaire, culte marial dans l’Église catholique. Il est survenu dans un lieu de culte où les habitants d’un quartier d’une petite ville du Burkina avaient l’habitude de se réunir le soir pour dire le rosaire.

Un soir donc, alors que ces fidèles s’étaient retrouvés, comme à l’accoutumer, pour se recueillir et dire le chapelet, survint alors un groupe du Renouveau Charismatique. Ces derniers arrivants, les « charismatiques » comme on les désignait, traversèrent le groupe de fidèles en prière, en bavardant bruyamment et sans aucun égard, tout comme s’il n’existait personne d’autre qu’eux.

Il y avait au fond de la cour qui servait de lieu de prière, des salles qui étaient utilisées pour la catéchèse des enfants et les réunions des fidèles du quartier. Les charismatiques ouvrirent une de ces salles et s’y installèrent. Ils commencèrent alors à déclamer des louanges, à chanter haut et fort, s’accompagnant de grands battements de tambours. Le bruit était si fort que les fidèles réunis dans la cour ne s’entendaient plus dire le chapelet. Le moment de stupéfaction passé, ils se décidèrent à aller mettre fin de manière musclée au vacarme des nouveaux arrivants. Il s’en suivi une altercation verbale et les premiers comme les seconds ne purent poursuivre leur prière dans le recueillement nécessaire.

Ayant été témoin de cette scène, nous fûmes d’abord frappé de stupeur, puis une série d’interrogations se mit à se bousculer en nous. Comment se faisait-il que des personnes qui partageaient la même foi en arrivent là ? Comment les charismatiques pouvaient-ils se comporter ainsi au mépris des autres, du bon sens et de toute convenance ? Qu’est-ce qui était en jeu : le désir de pratiquer son culte ou autre chose ?

Ces différentes questions nous avaient amené à suivre ce groupe du Renouveau Charismatique pour en savoir davantage et à poursuivre plus tard un travail de recherche sur les groupes de prières, de thérapies religieuses et/ou syncrétiques.

Par la suite, nous apprendrons que le groupe du Renouveau Charismatique avait sollicité les lieux auparavant pour tenir leurs louanges. Ce qui lui avaient été refusé, car on ne saurait priver la « vieille communauté » de son lieu de rassemblement habituel à son profit, en ce mois de rosaire. Le groupe avait pris ce refus comme la preuve de son rejet et de celui du Mouvement par les autorités de l’Église et par certains membres influents de la communauté chrétienne. Quelques membres du groupe s’étaient donc arrangés pour avoir la clé d’une des salles et passer ainsi à l’acte pour faire entendre leur mécontentement.

Nous connaîtrons également la composition de ce groupe à travers les différents témoignages qui avaient lieu lors des rassemblements, auxquels nous avons participé. C’étaient, pour la majorité, des personnes victimes des mesures et des sanctions disciplinaires, justifiées ou injustifiées, prises par les nouvelles autorités révolutionnaires du pays. D’autres personnes y venaient également parce qu’elles y trouvaient un succédané à leurs conflits familiaux et à leur mal de vivre. Il y en avaient également qui y venaient tout simplement parce qu’elles trouvaient là une forme plus adaptée au besoin de leurs expressions religieuses.

Tous, cependant, reconnaissaient que l’Église était passive et ne « s’élevait » pas assez contre la tyrannie et le communisme athée du Nouveau Régime qui les frappaient et constituaient un péril pour tous les croyants. Tout se passait comme si au lieu de rechercher la brebis égarée et à prendre soin du troupeau, les « vieux pasteurs » contribuaient par leur silence et une complicité passive à livrer la brebis au loup et à assister à la curée. Le sentiment général était l’insécurité et la déception face à une Église qui n’offrait plus de protection pour ses membres et dont les pasteurs « bâillonnaient » leurs fidèles par l’endoctrinement « comme si tout le monde n’avait pas reçu l’Esprit en plénitude et le pouvoir d’interpréter la doctrine sociale de l’Évangile ».

Le Mouvement du Renouveau Charismatique qui émergeait dans ce contexte apparaissait alors comme la petite révolution dans la Révolution Démocratique et Populaire au sein de la nouvelle société en général et particulièrement au sein de l’Église catholique, pour des raisons plus internes. Reprenant à leur compte les slogans révolutionnaires, certains charismatiques ont crié « malheurs aux prêtres qui bâillonnent leurs fidèles ».

Près de 20 ans après cet événement, nous pouvons constater que le Mouvement du Renouveau Charismatique s’est progressivement tassé en se laissant ranger dans les « ordres ». On peut dire cependant qu’il a participé, dans une certaine mesure, à l’émergence de mouvements marginaux et syncrétiques d’obédience catholique qui se positionnent actuellement comme des groupes de thérapies, avec certains débordements déplorables (révélations d’actes de sorcellerie, désignation de sorcières, confessions publiques lors des rassemblements, colonisation des espaces psychiques des personnes les plus fragiles, rejet fondamentaliste des cultes traditionnels jugés démoniaques, etc.). Ces différentes situations entraînent souvent des dérives vers une sorte d’ordalie, telle qu’elle se pratique dans les rituels traditionnels et païens, avec parfois des violences physiques, morales.

On peut constater également que le Mouvement du Renouveau Charismatique, à travers les groupes, tels qu’ils se sont structurés dans leur fonctionnement au Burkina, présente à certains égards des similitudes avec les ordres initiatiques, les sociétés religieuses secrètes de l’organisation traditionnelle.

Les différentes observations, que nous avons également réalisées sur les groupes de thérapies religieuses et syncrétiques d’obédience protestante, nous permettent de dire qu’ils s’inscrivent dans un mouvement similaire à ce que nous venons de décrire sur le MRC. A la différence que le mouvement y est plus ancien et tout y est décuplé. En effet, l’absence d’une structuration hiérarchique forte et d’un « dogmatisme centralisé » comme dans le Christianisme Romain favorise encore plus l’éclatement, les débordements divers et « l’institutionnalisation » des mouvements marginaux et syncrétiques en de nouvelles églises.

Près de 20 ans après, nous avons également reçu à notre consultation deux anciens membres influents de ce premier groupe que nous avons observé. Nous constatons également que parmi nos patients nombreux sont ceux qui ont adhéré ou qui adhèrent encore à ces différents groupes.

Notes
23.

Le Roy J. (1991-1993), Processus thérapeutiques groupaux dans les églises de guérison à Kinshasa, ZaÏre, In Identité et culture. L’approche analytique de groupe., CONNEXION, N° 63, éres, 1994, PP. 101-124.