II. LES SITUATIONS CLINIQUES

1. CHRIS : LES ORDRES OU LA FOLIE DU PERE

Chris est un jeune homme de 32 ans au moment où il arrive à notre consultation. Il est venu nous voir sur les recommandations d’une infirmière qui réside dans son quartier et dont il aurait fait la connaissance, au cours d’activités paroissales qu’ils ont partagées ensemble.

Concernant les motifs de la consultation, Chris nous dira qu’il est venu nous voir pour des « problèmes psychologiques » et des conflits familiaux qui handicapent beaucoup sa vie

Cependant, il nous présentera ses problèmes psychologiques comme étant des crises épileptiformes. Selon lui, les signes prodromiques sont constitués par des « sensations de tremblements à l’intérieur de la tête ». Il est alors pris de vertiges et perd connaissance, avec des larmoiements et parfois une agitation psychomotrice. Il tombe rarement. Au deuxième entretien, Chris aura une crise durant la consultation.

Cet épisode évoluerait depuis plus de dix ans et son origine serait ignorée par Chris. Toutefois, son carnet médical fait état de troubles épileptiques et de psychose schizophrénique. Sous réserve d’investigations supplémentaires, le tracé de l’électroencéphalogramme ne décèle aucune anomalie ni de trouble de comitialité. C’est sans doute ce qui avait privilégié le diagnostic de psychose schizophrénique. Chris était sous traitement au modécate retard, au tégrétol, à la dépakine et au gardénal. Au moment où il arrivait à notre consultation, il aurait arrêté ce traitement. Il n’avait plus les moyens financiers pour honorer ses ordonnances, d’une part, et estimait, d’autre part, que ce traitement était trop lourd, le fatiguait beaucoup sans donner pour autant des résultats satisfaisants.

Au début de l’épisode il aurait suivi, sous l’instigation de son père, un traitement traditionnel auprès des devins et des marabouts. Ces derniers avaient diagnostiqué qu’il était sous la possession des kinkirsi. Ce traitement n’avait pas eu non plus de résultats probants. Durant sa prise en charge chez nous et avant, il aurait recouru également aux thérapies religieuses et syncrétiques et parfois de manière quasi effrénée. Il ne se privait jamais de recourir à ces thérapies chaque fois qu’il avait connaissance de leur existence. Il manquera pour cela à plusieurs consultations.

Après le premier entretien, nous adresserons Chris, parallèlement à ses consultations chez nous, à notre collègue infirmier spécialisé en psychiatrie, pour un suivi médical. Ce dernier modifiera alors son traitement en prescrivant du gardénal 100mg en deux(2) prises d’un(1) comprimé par jour (matin et soir) et du valium 10mg (½ comprimé le soir au couché). Ce traitement évoluera favorablement. Durant le premier mois qui suivit ce traitement, aucune crise n’a été signalée, alors que Chris en avait au moins trois par semaine. L’infirmier suspendra alors le valium, ne gardant que le gardénal.

D’une manière générale, le traitement évoluera favorablement. Les crises se stabiliseront progressivement, ne survenant que très sporadiquement. Toutefois, Chris rapportera que ses crises survenaient surtout lors des conflits avec sa famille ou d’éventuelles contrariétés. La survenue des crises prenait alors une autre tournure. Nous constaterons qu’elles apparaissaient de plus en plus, en lien avec la dynamique psychologique et relationnelle de Chris. Au niveau des consultations psychologiques, chaque fois que l’entretien évoquera des éléments qui pouvaient se rapporter à la souffrance psychologique, à quelque chose qui serait de l’ordre d’une blessure narcissique, Chris nous rapportera la séance suivante qu’il avait eu une crise après l’entretien. Nous ferons alors l’hypothèse que ces crises avaient une fonction économique dans la dynamique psychique et relationnelle de Chris et servaient à le protéger contre la prise de conscience d’une profonde blessure narcissique et des conflits dont il semblait porteur.