1.2. L’histoire des parents de Chris

Le père est issu d’une lignée de la chefferie traditionnelle mõagha. Avec l’avènement de l’Administration moderne et des nouvelles religions « importées » (Islam et Christianisme) cette chefferie semble connaître un déclin. Cependant, elle jouit encore d’une influence certaine en s’impliquant activement dans la vie politique et sociale du pays et en s’inscrivant de plus en plus dans les ordres religieux.

De naissance, le père de Chris est de religion animiste. Il s’est converti à la religion catholique et a reçu une formation de catéchiste. Il occupe une place importante dans sa communauté. Il a quitté son canton d’origine pour venir habiter dans la capitale. Dans la vie de son quartier d’adoption, il occupe un rang de dignitaire coutumier en qualité de conciliateur et de médiateur.

Le père de Chris contractera une union matrimoniale, arrangée dans la pure tradition de la chefferie mõagha. Il épousera ainsi une jeune fille qui lui aurait été « donnée » par le chef de son canton d’origine. En effet, dans le droit féodal en milieu moagha, cette pratique consacrait une distinction qu’un suzerain accordait à son vassal, en l’investissant ainsi au rang de chevalier, de dignitaire de son régime. Pour le vassal, accepter une telle union constituait un serment d’allégeance, la refuser était un signe de déloyauté à l’égard du régime féodal et une conspiration contre le trône du suzerain. Les filles aînées qui étaient issues de telles unions étaient remises au suzerain qui se chargeait de les redonner en mariage à d’autres vassaux. Les garçons aînés étaient confiés à la cour ou à d’autres vassaux pour leur éducation.

Cette pratique s’inscrivait dans la tradition de la chefferie féodale et conférait ainsi au suzerain le droit de la répartition des alliances matrimoniales et le contrôle de l’éducation de ses futurs dignitaires. Les différents fiefs étaient ainsi inféodés à la cour qui étendait son influence sur toute l’organisation de la vie sociale et familiale, renforçant et maintenant par cela même le pouvoir central du suzerain.

A l’heure actuelle, bien que le droit féodal ait été officiellement aboli, cette pratique reste encore vivace dans la mentalité de nombreuses populations au Burkina Faso. Elle constitue un véritable défit et une source de conflit permanent avec la législation en matière de droit civile et de la famille et avec le droit en usage dans la religion chrétienne qui ne reconnaissent la validité du mariage que s’il est contracté sur le consentement mutuel et libre des futurs époux. De fait, à cause de la prégnance de cette pratique dans les mentalités et par crainte d’être en rupture avec leurs groupes d’appartenances et les traditions ancestrales, nombreux sont les futurs époux qui subissent cette pratique tout en déclarant au prêtre, au pasteur et à l’officier d’État civil qu’ils ont librement consenti à leur union alors qu’il n’en est rien en réalité. C’est donc d’une telle union que sont issus Chris, ses frères et sœurs.

Cette pratique peut également éclairer le fait que Chris ait été confié à la cour du chef de canton dès le bas âge et sa sœur aînée à des proches de ses parents.

Lors d’une rencontre que nous aurons avec Marie, la sœur aînée de Chris, celle-ci nous entretiendra longuement sur la situation conjugale de leurs parents. Elle nous confirmera que ses parents se sont mariés sur une telle union. Leurs conflits auraient commencé avec leur union. Deuxième de la fratrie, elle dira qu’elle avait toujours connu ses parents dans une situation conflictuelle, sans pour autant savoir ce qui en était l’origine. Son père est décrit comme un tyran familial qui battrait souvent sa femme jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse. Leur mère souffrirait ainsi de troubles de mémoire et de « problèmes de tête » qu’elle considère être les séquelles des coups répétés qu’elle reçoit souvent sur la tête. Elle, Marie, aurait subi cette situation familiale difficile jusqu’à son départ au Canada. A son retour, ne supportant plus de voir son père maltraiter sa mère, elle aurait conseillé à cette dernière de le quitter pour « sauver sa vie ». Leur mère aurait refusé en argumentant qu’elle avait été donnée à leur père par le chef de canton et sa famille. Ces derniers sont au courant des agissements de son mari, mais n’avaient rien entrepris pour changer la situation. Elle ne pouvait donc pas quitter son mari car une séparation portera atteinte à l’honneur de la famille. Marie nous dira que ses rapports avec son père et sa famille large s’étaient ainsi détériorés. Elle était devenue la fille indigne qui voulait « casser le foyer » de ses parents. Le fait qu’elle soit devenue fille mère avait ajouté un désaveu à sa conduite. La vie était devenue impossible pour elle dans sa famille et c’est ce qui aurait motivé son départ du domicile paternel et sa conversion à la religion protestante où elle a pu retrouver un équilibre.

A propos des conflits de Chris avec son père et son entourage, elle dira qu’il avait beau jeu de se plaindre, car il avait le même caractère que leur père. Il en était « la copie conforme ». Elle avait proposé plusieurs fois à Chris de quitter la famille, les ordres et de se trouver un travail, pour faire sa vie. Mais ce dernier refusait tout, n’en faisant qu’à sa tête. Elle ne comprend pas pourquoi Chris s’accroche à la famille et aux ordres. Elle pense que si elle pouvait l’amener dans un pays lointain où il n’aurait plus de contact avec la famille, Chris irait mieux. Son état, selon elle, ne relève pas de la folie mais de son entêtement et du mauvais caractère qu’il a hérité de leur père. « Ils pensent qu’ils ont tous les droits et terrorisent les autres. La communauté chrétienne de la paroisse est hypocrite. Les gens flattent Chris et lui donnent de l’argent alors qu’ils connaissent tous la réalité. Avec de telles attitudes il ne peut pas être un homme responsable et se prendre en charge. Ceux qui lui font des révérences en le considérant comme un religieux ne font que l’enfoncer davantage. Quant à leur mère si elle refuse de quitter leur père, c’est son affaire. Elle finira un jour par mourir sous les coups de son père et c’est là que tous comprendront ce que vaut l’honneur de la famille. Elle, Marie, n’a plus de liens avec eux. Elle ne retourne rarement en famille que pour prendre des nouvelles de sa mère et voir si elle a besoin de quelque chose ».